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Interview : Fatou Biramah revient avec "Negresse"
Après confession d'un salaud, Fatou Biramah revient avec "Negresse", son nouveau roman autobiographique
 24/10/2006 Par Malaïka Coco
 
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« Tout dire, elle ne peut pas. Elle craint toujours qu'on la lise, qu'on la viole aussi par ce bout-ci de son être. Et puis qu'on s'en serve pour lui serrer la vis. Ses mots, les vrais, sont une arme qu'elle se mettrait dans la bouche. Alors elle se censure, se soulage à moitié. C'est terrible. Ça prolonge la soumission, ça l'officialise ».

Fatou Biramah nous plonge ainsi dans Négresse, son nouveau roman, paru récemment dans la collection « les Clandestins » (Editions privé). Grâce à la plume de la journaliste Sophie Blandinières, elle dresse le portrait saisissant de Touna, une jeune Française, Togolaise d’origine. Un roman autobiographique sur un parcours douloureux.

A 31 ans, Fatou Biramah a subi les coups. Elle a vécu la guerre. Elle a connu le rêve au goût amer du star system. Négresse est une véritable thérapie. Le texte est poignant. Les mots sont souvent durs. Il présente violemment la descente aux enfers d’une jeune femme qui vivait de blessures physiques en souffrances morales au quotidien, depuis son enfance.

A travers le personnage écorché vif de Touna, Fatou Biramah affronte son passé. Elle raconte son enfance, entourée de ses sœurs, sous une avalanche de coups d’un père brutal, soumis lui-même au joug mental de la « marâtre ». La mère n’inspire que de la haine à ses filles, notamment à Fatou, l’aînée. En vacance au Togo, sa sœur et elles apprennent brutalement qu’elles ne rentrent pas en France. Leur vie bascule dans l’univers fiévreux et inquiétant de la guerre civile. De retour dans l’hexagone, la jeune fille décide de quitter le domicile irrespirable de ses parents.

Elle survit alors à la précarité et aux discriminations. Ses histoires d’amour apportent également leur lot de déceptions et de désillusions. En quête d’attention, elle croit appartenir au cercle de la star de Rap française, Joey Starr. Mais son paradis se transforme très vite en enfer. La détresse de Fatou culmine lorsque son quotidien est décrypté par des millions de téléspectateurs dans « 40 jours, 40 nuits », qui relate la vie de l’ex membre du groupe NTM.

C’est le déclic. Fatou-Touna se rend compte qu’elle n’a toujours inspiré que le non-respect de sa personne. Le réveil est salutaire car elle profite de sa soudaine notoriété pour se lancer dans l’écriture. D’abord par le journalisme, puis par son premier roman sorti en 2004, Confessions d’un salaud, dans lequel elle livre, avec Audrey Diwan, « l’histoire vraie d’un braqueur, dealer, taulard ».

Un récit criant de vérité, sans pour autant tomber dans le larmoyant, révèle la force des romans de Fatou Biramah. La violence physique et surtout psychologique éclate dans chaque insulte, chaque gifle, chaque offense.

Négresse est un cri de douleur, sans compromis, dévoilée par Fatou Biramah, auteur et héroïne bouleversante du roman.


Entretien avec Fatou Biramah
   

Pouvez-vous présenter ce roman ?
C’est un roman autobiographique, qui parle des relations humaines. C’est l’histoire de Touna, l’héroïne. Elle raconte son parcours de l’enfance à sa vie d’adulte. Un parcours plutôt chaotique. Elle fait un parallèle entre la France et l’Afrique, entre la rue et le showbiz, entre les hommes et les femmes et entre sa vie d’enfant et sa vie d’adulte. La conclusion qu’elle en a eu est qu’on ne fait que reproduire ce qu’on a vécu. C’est une analyse et une thérapie.

La couverture est frappante. Le tatouage, les locks, le casque colonial. Est-ce une image symbolique qui vous représente ?
Oui, c’est une image tout à fait symbolique. La couverture, c’est moi. Un peu de colonisation, un peu d’esclavage, un peu d’Afrique, un peu de France. Le casque colonial revient à rechercher mes origines et ma famille. En juin, au Togo, je suis tombée sur ce casque dans les affaires de mon grand-père. J’avais le casque dans les mains, j’en tremblais. Je suis également tombée sur une photo de mon grand-père entouré du couple de « gentils colons » comme il les appelait, chez qui il était quand il était jeune, avec ce casque. C’est très paradoxal, comme dans le bouquin.
Le tatouage, c’est par rapport à la femme et l’Afrique, le berceau de l’humanité.

Moins j'ai de contacts avec mes parents, mieux je me porte
Fatou Biramah


Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire, à raconter votre vie ?
Premièrement, j’ai été exposée dans cette fameuse émission. On a montré une image de moi qui n’était pas du tout la mienne. Donc porter cette image tant de temps, ça ne me reflétait pas. C’est pour ça que j’ai mis mon nom de famille : Fatou Biramah. Personnellement, j’avais besoin d’extérioriser certaines choses. Tourner une page sur tout ce qui me dérangeait et m’avait pollué la vie, et passer à autre chose. Pour le faire, j’ai écrit ce bouquin. C’était l’occasion de perdurer dans l’écrit. Je l’ai fait naturellement. Un jour, je me suis levée, j’ai vu mon éditeur et voilà.

Pourquoi Négresse ?
Parce que je suis nègre. Et comme, je suis une femme, je l’ai mis au féminin. On m’appelle comme ça. Par mes frères noirs, il n’y a pas de problème.

Comment s’est formé ce duo littéraire avec Sophie Blandinières ?Je n’avais pas assez de recul et ce que j’avais écrit ne me plaisait pas. J’ai demandé à mon éditeur de me présenter un « nègre ». Il me connaît et savait que Sophie irait dans mon sens. J’ai vu que cette fille était complètement folle. Elle a compris ce que lui exprimais. Elle est partie tout de suite à fond. Je me suis replongée dans mes journaux de bord, d’où on a extrait quelques passages. On les a mixés avec les interviews qu’elle avait faites de moi. On a beaucoup travaillé.

Cette replongée fut douloureuse ?
C’est horrible. C’était une vraie thérapie mais c’était horrible. Je me replonge dans le journal, je relis des passages terribles. J’ai dû voir un psy. J’ai éprouvé le besoin de respirer, de chercher quelque chose, je ne sais pas quoi. J’avais besoin d’aller dans les endroits qui avaient un rapport avec moi : New York, les Antilles et l’Afrique. Je ne peux même pas relire le bouquin. Il faut que j’aie un détachement. C’est pourquoi, on l’a romancé. Touna est moi mais en même temps n’est plus moi. C’était dur.

Pourquoi Touna ?
C’est ma grand-mère maternelle qui m’appelait Touna. Je ne l’ai pas vraiment connue. Elle est décédée, je devais avoir environ quatre ans. Quand on allait au Togo, elle chantait « Touna » pour me bercer. La berceuse est restée. Cette petite ballade est le seul souvenir que j’ai d’elle. Donc voilà, Touna c’est moi.

Où en est votre relation avec vos parents ?
Je ne peux pas être en contact avec eux. C’est physique. J’espère qu’avec ce bouquin, ça va me permettre d’évacuer. Je n’ai aucune relation avec eux. Je n’en veux pas. Moins je les vois, mieux je me porte. Lorsque je les vois, ça me perturbe dans mon évolution. Si je veux continuer à avancer, il faut que je les mette à part. On se retrouvera peut-être un jour, je ne suis pas fermée.

Quels repères avez-vous pris dans votre enfance ?
J’étais tout plein de rêves. Je regardais la télé. J’avais des idoles comme Michael Jackson et Bob Marley. Bob Marley remplaçait mon père. La télé et ma musique étaient mes seuls repères.

Parlez-nous du séjour au Togo et du contexte de la guerre.
On était ados. J’avais quinze ans, ma soeur en avait quatorze. On avait un coté rebelle. On ne comprenait pas ce qui se passait. Les parents partent, nous laissent là. Malgré la colère, on décide de vivre ça à fond, quitte à être là. Puis brutalement, on te dit : « Pas le droit de sortir, pas le droit d’aller dans la rue, attention il y a des militaires ». Là, je me dis : « Waouh, qu’est-ce qui se passe » ?. Mais, quelque part, nous étions privilégiées, nous étions les petites Françaises. Le but du jeu était de nous envoyer à l’école. Nous sommes allées à l’internat. Nous étions déconnectées par rapport à ce qui se passait dans la capitale. Puis, grève générale, tout est bloqué. Là, on se rend compte de ce qui se passe. Mais, à chaque fois, nous nous sommes approchées du danger et on nous en éloignait. On revient d’abord dans la capitale et vu la situation, on part au Gabon. Mais on s’inquiétait beaucoup pour la famille. Une tante est morte d’une balle perdue. Pillages, couvre-feu, militaires qui rentrent les gens. On ne comprend pas vraiment ce qui se passe vu que nous sommes jeunes. Tout ce qui nous intéressait était les mecs, la musique. On était tellement loin de tout ça.

Ta vocation est née au Gabon ?
Au Gabon, j’ai aimé les ambiances radio, musique et journalistes. J’ai rencontré Koffi Olomidé là-bas. J’étais en tournée avec lui au Gabon. J’ai adoré. Depuis petite, je voulais écrire et devenir femme d’affaires. Mais j’aimais déjà la musique et la danse.

Comment avez-vous vécu votre retour en France ?On rentre en avril. 5 octobre, je me casse de chez les parents l’année de mes 18 ans. On a fait les « Dalton » avec mes sœurs, les bagages à la main. Je suis partie chez un pote. Je suis en vraie galère mais, pour moi c’était la liberté. Au moins, je n’étais plus chez eux. Car, avec ma mère, j’avais des envies de meurtre.

Parlez-nous de votre relation avec votre mère.
Elle gère tout et le père ne fait que récolter le compte-rendu de ce qui s’est passé dans la journée. En gros, décider s’il doit donner des coups. Le mieux est de se taire parce qu’on a toujours tort. Je ne répondais pas alors on me traitait d’insolente. Quoiqu’il arrive, tout ce que je faisais méritait des coups. Après le piquet pendant le film du soir, ils allaient se coucher et nous, on montait nos chorégraphies en baissant le son. Pour nous, ça faisait partie du quotidien. En principe, pour s’éveiller l’esprit, on avait des encyclopédies, une salle de jeux avec télé etc.…Mais tout était sous scellé. On n’avait pas le droit de les utiliser. Tout ce qui était sensé nous faire plaisir dérangeait la marâtre. Elle mettait des signes, des indices pour savoir si on avait touché à la télécommande par exemple. On avait réussi à esquiver. Puis elle a mis une petite boule de papier aluminium sur la télécommande, que je ne voyais même pas. Et elle a su qu’on avait regardé la télé grâce à cette petite boule par terre. C’est super vicieux.

Comment s’est passé votre entrée dans le milieu du showbiz ?
Au début, c’est génial. On s’amuse, on délire. J’étais en « kiffance de dingue ». J’avais mon mec « en sous-marin » et mon idole avec qui je vivais. Tout ce qu’on me demandait, les trois règles :
- ne pas ouvrir la porte
- ne rien jeter
- ne pas parler mal aux gens
J’ai été élevée en mode « femme dans la cuisine » donc j’ai joué à la maman. Je prend mon rôle tellement naturellement que je ne me pose même pas la question de savoir si je suis une femme de ménage ou pas. Je suis une femme qui vit avec deux hommes et son devoir est de les nourrir et les faire grandir. Je me mets dans la peau d’une mère et en même temps, j’étais leur petite sœur. Donc j’étais contente, j’avais une famille et une maison. Tout ça avec l’icône du rap français. Mais je me suis brûlée les ailes. Avec le recul, je me rend compte que je profitais du fait qu’on me proposait un toit. J ‘étais en galère. Mais le toit n’était pas chez n’importe qui. Grâce à moi, le seul souci des gars était de faire de la musique. Donc je me sentais utile.

Et la désillusion ?
Je suis très terre à terre. Le rêve était mort. Je les voyais tous, les gens du showbiz qui venait à la maison. C’était superficiel, que du vent, super hypocrite. Tout le monde s’embrasse, tout le monde se ment, c’est horrible. Ca me dégoûtait. Je n’étais pas du tout dans cet esprit là et en accord avec le système. Mais j’ai vite appris à l’être. Sinon, c’est la porte. Je n’existais pas.

Comment avez-vous vécu l’émission ?
Le vrai déclic est arrivé au moment de l’émission. Au départ, je ne voulais pas en faire partie. Comme dans le livre, Djo prend Touna par les sentiments : « pourquoi tu refuses, tu as honte de nous » ? Elle accepte, j’accepte. Et on me rassure comme lorsqu’on nous a laissées au Togo. On me disait que j’aurais un droit de regard sur les images. Alors que pendant le visionnage, on ne m’appelait même pas. Finalement, quand on voit le rendu, on me voit avec des courses, passer l’aspirateur, faire la cuisine.

L’émission a –t-elle été positive ?
J’ai fait en sorte que ce soit positif. Je m’en suis servie. Mais dans l’absolu, elle n’a pas été positive. J’inspirais plus de la pitié que de la sympathie. Je ne faisais que 45kgs, on me prenait pour une toxicomane. Evidemment, ça ne me faisait pas plaisir. Mais comme on me reconnaissait, je me suis dit pourquoi ne pas m’en servir pour aller, encore une fois de l’avant, ou en tout cas ailleurs. J’ai décidé d’écrire un bouquin. Puis, je suis allée dans une rédaction de magazine sur le Hip-hop. Et là, je me suis autoproclamée journaliste. Je connaissais le milieu, je me suis servie du nom « Fatou de chez Joey Starr ». Et ça a marché, pendant deux ans. J’ai enchaîné sur un documentaire dans le milieu du Hip-hop. Tout ça avec mon propre nom. D’ailleurs je suis toujours en contact avec le milieu du Hip-hop car j’évolue dedans, notamment avec mes documentaires. Je me suis rendue compte que je pouvais faire des choses bien par moi-même.
Il fallait que je sois à l’aise avec ma propre histoire pour pouvoir la raconter. Donc maintenant, je m’en défais, ça ne m’appartient plus.

Quelles sont les conséquences de la sortie de Négresse ?
J’ai des amis qui sont désolés pour moi et qui ne pensaient pas que ça avait été aussi dur. Certains ont été choqués, même mes amis d’enfance. Mais je n’ai que des bons retours. Je n’ai pas encore eu de retours de mes parents. Je ne sais même pas s’ils sont au courant. Des gens du milieu dont je parle comme Spike ne veulent plus entendre parler de moi. Je le sais par personnes interposées. Mais je ne leur en veux pas. Je m’en veux à moi. C’est un bouquin dans lequel je me regarde. Je m’en veux d’avoir laissé faire. Je ne peux pas cracher dans la soupe. La soupe, c’est moi qui la faisais et j’en mangeais aussi. C’est pourquoi, c’est violent. Je me retourne contre moi, contre ma personne. Ce que j’ai vécu est violent donc le retour sur moi est également violent. C’est un bouquin que j’ai vomi. Mais j’en veux à mes parents, car c’est le même sang qui coule dans nos veines et je suis leur progéniture. Je n’imagine pas faire ça à mes enfants. C’est peut-être pour ça que je n’ai pas d’enfants. Je n’ai pas fini avec tout ça et j’ai peur de reproduire ce que j’ai vécu.

Quels sont vos projets ?
Je fais la promotion du bouquin. Je produis une artiste avec qui on a tissé des liens d’amitié au départ. On travaille beaucoup et on va se produire le 1er décembre. Je me suis autoproclamée productrice (rires). On avait une image de femme de ménage donc c’était à moi de démontrer que je suis capable de faire autre chose. Je me laisse au moins deux ans entre chaque bouquin pour vraiment y penser et le mettre en forme. Mais je veux garder l’héroïne Touna et la faire évoluer. Mais comme je suis très terre à terre, je ne suis pas dans la fiction. Je tiens vraiment à prôner la vérité avant tout. Pour la faire évoluer, il faut que Fatou évolue.
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