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Calixthe Beyala ou quand le Verbe entre en scène….
Retour sur l'oeuvre de la controversée romancière d'origine camerounaise
 07/11/2005 Par Aïda Perichon
 
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Calixthe Beyala
©mairie-metz.fr
   
Voilà près de 28 ans que Calixthe Beyala a envahi les rayons des libraires et collectionné quelques prix littéraires : Grand prix littéraire de l’Afrique noire, Prix tropique, Prix François Mauriac de l’académie française, Grand prix Unicef, pour n’en nommer que quelques uns. Malheureusement ce que l’on connaît d’elle, nous public, ce n’est que trop de critiques, de prises de position et peu de ses livres, ceux qui ont fait d’elle, ce personnage public !!

En prenant la plume, Calixthe Beyala veut briser le miroir dans lequel les écrivains et les hommes ont voulu enfermer la Femme, la mouler dans une image de paraître, sans lui laisser voir son propre visage. Calixthe Beyala veut montrer le visage d’une Femme Autre, celle qui veut se dire, celle qui écrit, celle qui écrit par et avec la tradition. Etre femme dans les textes de Beyala est un statut à acquérir et à défendre, reconnu par un étiquetage dénoncé dans ses livres « les mariées, les épousables et les autres… . »(1).
Son premier ouvrage « c’est le soleil qui m’a brûlée », empreinte son titre au « Cantique des cantiques », seul écrit biblique qui parle de l’amour d’une femme et qui s’attache seulement à la beauté physique, sans jamais parler de Dieu.

Beyala nous parle dans ses ouvrages de ces Autres qui malheureusement ne sont que des objets pour les hommes, des « refoulée à l’angle, tassées »(2). Dans cette écriture rebelle, et dénonciatrice, Beyala rappelle à juste titre qu'écrire c'est peut-être dire quelque chose aux autres, leur proposer un autre regard sur la réalité, sur les rites, sur soi, sur sa négritude.
   

« La négresse rousse » de Calixthe Beyala

Ainsi en allant à l'intérieur de ses textes, se met en scène un pas de danse, créant une atmosphère tropicale et choisissant un partenaire féminin qui évolue sur des rythmes endiablées. Endiablés comme "La négresse rousse "(3), Mégri à la chevelure rousse et ses deux amants. Sur cette note de couleur, Beyala joue avec les références ; la couleur rousse est une couleur entre le rouge et l’ocre. Cette couleur représente le feu impur, qui brûle sous la terre, le feu de l’enfer. Le roux évoque le feu infernal dévorant, la passion du désir, la chaleur d’en bas. Cette passion du désir dont l’héroïne Ateba évoque, cette passion du désir destructeur, cette passion qui prend Irène dans « Femme nue femme noire »(4), dépendante du sexe et des mots : «des mots qui détonnent, déglinguent, dévissent, culbutent, dissèquent, torturent ! Des mots qui fessent, giflent, cassent et broient…»(4) Mettre en mots le désir, la passion, c’est prendre la parole et la porter aux Autres.

Cet acte est difficile car la parole est sacrée, c’est le Verbe. Ce verbe qui a été donné à l’homme, ce verbe qui s’engouffre dans les rues et qu’Ateba tente de s’approprier. Le Verbe doit alors être raconté, transmis à toutes les femmes pour qui l’auteure écrit. L’Etre féminin pourrait alors être à son tour une émanation du Verbe créateur. Cette transmission de parole est accompagnée de douleur, de silence, de colère et de meurtres. Alors écrire comment et avec quoi ? C’est le postulat du premier texte de Beyala, elle tisse sa toile pour tous les textes et tous les écrits à venir, c’est une mise en abyme de l’écriture, de l’acte d’écrire.

Il faut écrire au travers d’une norme europhone qui se veut roman et d’une norme judéochrétienne qui définit la femme comme une partie de l’homme, une côte de l’homme.
Qu’en est-il de la culture Béti ? Comment traduire de l’oralité dans des textes, de l’écrit dans l’oralité des rites ? Beyala rédige des phrases courtes où le Verbe envahit l’espace, démonte des mécanismes et introduit subrepticement de l’oralité, de la tradition, des rites. L’écriture francophone féminine, ne peut être castratrice, elle doit être constructrice même si dérangeante car différente de la norme.

Calixthe Beyala
©gezett.de
   
La femme ne doit plus être « à genoux, le visage levé vers le ciel…position de la femme fautive depuis la nuit des temps…assise. Accroupie. A genoux… Ainsi le veulent la lune, le soleil, les étoiles… », elle doit Etre, avoir sa place, comme la tradition et le rite lui accordent.

C’est l’initiation qui offre à regarder différemment les textes de Beyala. L’initiation est le franchissement d’une porte donnant accès à un ailleurs ou à un autre. Dans ses textes, une clé numérique permet d’accéder aux rites, à un autre lendemain. Les principaux chiffres sont : 1, 3, 6, 7, 9. Le chiffre neuf, chiffre parfait et magique, représente l’universalité et est le carré du chiffre trois, chiffre novateur. Ce même chiffre neuf retrouvé dans « les arbres en parlent encore » ou « C’est le soleil qui m’a brûlée » est comme une réappropriation d’une paternité biblique.
Les femmes mises en scène par Beyala seraient des Lilith en puissance, pleines d’Inconnu et de mystères
« Derrière la jeune fille de dix neuf ans….trottinait l’ombre de la femme… »(5). C’est par le verbe que la femme reconstruit à l’image de la création biblique son environnement « elle pleure pendant sept jours et sept nuits et ses larmes formèrent la mer, les rivières, les marigots et les lacs..»(6) si le chiffre neuf encadre les textes de Beyala c’est parce que dans les sociétés bétis, il faut neuf jours pour les neuvaines, il faut neuf jours pour tout et c’est le neuvième jours qu’il se passe des choses contrairement à la société judéo-chrétienne qui en compte sept.

Le parcours initiatique est mis en mots par Beyala dans les titres de ses textes, dans le nom de ses héroïnes, dans les lieux utilisés, avec des difficultés parcours que l'on retrouve dans les rites d'initiation où pour devenir initié, il faut passer par des épreuves exutoires dont le meurtre. Alors pour sortir de l’ordre biblique Homme/femme, la pratique du rite du Mevungu est amorcée.
Ce rite était surtout demandé lors de circonstances fâcheuses : « le Mevungu apparaissait comme un moyen de protection et d’élimination des maléfices aux yeux de tous, femmes et hommes…. Le Mevungu connaissait deux catégories d’initiées : la plus large regroupait l’ensemble des femmes mariées et les jeunes candidates, Von Mevunu, étaient préparées à Minlaaba par une réclusion solitaire de neuf jours. . »(7).
   

Le dernier livre de Calixthe Beyala

La femme a tellement besoin d'Etre qu'elle envahit l'espace, qu'elle saigne le papier, qu'elle s'interroge sur un autre espace où la société serait organisée autour d’une féminitude reconnue.

Une des spécificités de Beyala est d'avoir voulu proposer dans des textes peut-être européanisants, des éléments traditionnels de la société béti. Alors qu’est-ce qui nous dérange réellement dans les textes de Beyala : une légitimation de sa féminitude ou une utilisation inattendue de la tradition et de ses rites initiatiques. Une des vrais difficultés de la lecture des textes de Beyala est d’aller au-delà des premières impressions au-delà de nos préjugés, de nos présupposés et d’aller alors au cœur du texte afin d’en apprécier la mise en écriture des rites et de la tradition. Laisser les mots entrer en scène et l’écrit ne sera que le support d’une parole.

Aïda Perichon

(1) Beyala, Calixthe « C’est le soleil qui m’a brûlée », 1987, Ed. Stock
(2) Beyala, Calixthe « C’est le soleil qui m’a brûlée », 1987, Ed. Stock
(3) Beyala, Calixthe « La négresse rousse », 1991 « seul le diable le savait », 1990, Ed. Le pré-aux-Clercs
(4) Beyala, Calixthe « Femme nue, femme noire ». Ed. Albin Michel, 2003
(5) Beyala, Calixthe « C’est le soleil qui m’a brûlée », Ed. Stock p6
(6) Beyala, Calixthe.« C’est le soleil qui m’a brûlée ». Ed. Stock p146
(7) Barbier, jean-Claude. « femmes du Cameroun, Mères pacifiques, femmes rebelles ». Orstom, Karthala, 1985. p235
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