Grioo Pour Elle
 



 
Accueil > Personnalités > Pleins feux sur... > "L’excision, une coutume à l’épreuve de la loi" par Marie-jo BOURDIN
+ Retour au sommaire de la rubrique
     
"L’excision, une coutume à l’épreuve de la loi" par Marie-jo BOURDIN
Le philosophe sénégalais, présenté dans la rubrique [a2 info147.html "parcours"] a rencontré Marie-Jo Bourdin, auteur d'un livre sur l'excision
 07/09/2005 Par Pape Cissoko
 
Envoyer
Imprimer
Réagir


Marie-jo BOURDIN
   
Pourquoi ce livre sur l’excision ?

Ce livre est avant tout le fruit d’un travail de recherche que j’ai mené il y a quelques années dans un cadre universitaire. Mais surtout certaines circonstances m’ont montré à quel point cette coutume était encore répandue et ce travail toujours d’actualité. En 2004 deux voyages en Afrique, au Bénin et surtout au Sénégal, ou j’ai rencontré la représentante à Dakar de F.A.W.E. ( Forum for African for Women Educationalist) , une ONG qui a innové en matière de prévention, je pourrais vous en parler, et l’appui d’amis africains m’ont incitée à actualiser et publier. De retour en France, j’ai été interpellée par un médecin responsable du pôle santé et précarité d’un département de la région parisienne sur la recrudescence de cette pratique dans certaines villes de ce département et demandait un appui méthodologique pour entreprendre un travail de prévention. Enfin la sortie du film de Sembène Ousmane « MOOLAADE » qui rejoint ma prise de position m’a confortée dans l’idée de faire paraître ce livre.

Y-a t-il une relation entre l’Islam et l’excision ?

Non, car cette pratique est ante-islamique et remonte à l’Egypte pharaonique (des égyptologues ont trouvé des momies excisées) mais sans prescrire ni proscrire l’Islam a laissé place à une grande ambiguïté . En effet si le Coran est muet sur la question un des hadiths (tradition) mentionne la pratique avec une recommandation du prophète « ne pas opérer trop largement c’est préférable pour la femme » Ce hadith est d’ailleurs très contestée par certaines féministes.
   

Le livre de Marie-Jo Bourdin

Revenons en arrière pour mieux comprendre cette situation :
quels sont les arguments en faveur de l’excision ?
Est-ce que l’excision est pratiquée partout en Afrique et par toutes les ethnies ?


Les arguments en faveur de l’excision sont multiples et variés ! Retenons ici ceux que l’on entend encore le plus fréquemment : le mariage, la fécondité, la fidélité, la propreté et l’hygiène (dans le sens de pureté , être propre donc pure pour prier, se marier etc..), la religion… Tous ces arguments ont encore « la vie dure » dans certaines ethnies.

Pour la deuxième partie de votre question, non l’excision n’est pas pratiquée partout en Afrique mais dans plus de 25 pays surtout dans la zone subsahélienne, en Afrique de l’Est et un peu moins en Afrique Centrale. Il faut préciser que l’Afrique du nord (Algérie, Maroc et Tunisie) ne la pratique pas. Par contre il existe des localisations extra africaines. Rappelons aussi que l’Afrique est plurielle et qu’il existe des différences non seulement d’un pays à l’autre mais à l’intérieur d’un même pays d’une ethnie à l’autre c’est ainsi qu’au Sénégal, par exemple, les wolof n’excisent pas et vivent à côté des soninké ou toucouleur qui eux, font perdurer la tradition.

Depuis quand l’excision est devenue un problème en Occident et en France en particulier ?
Comment expliquez-vous cette évolution de la situation ?


En Occident, ce sont les mouvements féministes qui, au début des années 1970, après les périodes de décolonisation, ont soulevé ce problème et se sont préoccupés de cette tradition. On peut d’ailleurs s’interroger sur le déni de l’excision pendant la colonisation ? précisons que jusqu’en 70, l’immigration était essentiellement masculine, les hommes vivaient seuls dans les foyers et le problème de l’excision ne se posait pas sur notre territoire.
C’est dans les années 1980 et plus précisément en 82, après le décès d’une petite malienne de 3 mois que l’opinion publique française est alertée. Un procès en correctionnel a eu lieu accompagné d’une grande campagne de presse. Mais c’est en 83, qu’ un arrêté de la Cour de Cassation rendra criminelle cette coutume après qu’une française originaire de Saint Nazaire , malade mentale ait, dans un accès délirant excisée sa propre fille. Il y a eu jurisprudence. A partir de cette date des cas d’excision ont été signalé et ont fait la une de l’actualité judiciaire.

Marie-Jo Bourdin
   
Le problème de l’excision ne démontre t’il pas la volonté de suprématie d’une civilisation sur une autre ?

La manière avec laquelle ce problème a été abordé pourrait en effet démontrer, consciemment ou inconsciemment, la suprématie de la civilisation occidentale qui se veut universelle. Le déroulement des procès en Assises auxquels j’ai participé en atteste, on y jugeait pas des personnes mais une culture, un continent. Certains ont pu parler de » procès schizophrènes » tant le clivage était profond. Nous étions un certain nombre à ressentir très fort ce rapport de domination et cette supériorité des valeurs occidentales croyances que Claude Lévi-Strauss et d’autres ont souvent évoquées ; et nous nous interrogions sur ce regard sur
les représentations de la culture de nos ex-colonisés pour ne plus les voir uniquement comme des « barbares » ? pourtant nous, les dits civilisés, ne sommes pas exempt de barbarie puisque au début du siècle dernier des clitoridectomies étaient pratiquées pour soigner l’hystérie et l’on cautérisait le clitoris des petites filles qui se masturbaient !

Depuis une décennie certains pays africains luttent contre l’excision, que pensez-vous des moyens et des méthodes utilisés pour éradiquer le phénomène ?

Les premières tentatives abolitionnistes remontent à la fin du 19ème siècle.
Je crois que dans la dernière partie du siècle dernier, certains gouvernements africains ont, sous l’œil réprobateur de l’Occident, mis en place des campagnes de sensibilisation et signé la charte internationale des droits de l’enfant. Ce sont surtout les associations de lutte contre cette pratique qui ont pris les choses en main. Cette question, qui touche à la sexualité est délicate à aborder dans une culture du non-dit ou parler de sexualité est tabou. Il faut s’entourer de précautions pour ne pas choquer les mentalités et souvent retourner plusieurs fois dans les villages avant d’avoir l’aval de leurs chefs afin d’organiser des réunions publiques .
Par contre je crois beaucoup à l’implication et aux prises de position des autorités religieuses et des hommes ainsi qu’aux dépôts de couteaux (même si ceux-ci sont parfois sujets à caution puisque l’on constate dans certains villages la persistance de l’excision après dépôt !) comme dans MOOLAADE ou à la fin du film, Sembène Ousmane fait déposer aux exciseuses leurs couteaux lors d’une cérémonie publique. Pour conclure sur cette question, je dirais que l’éradication va au delà de l’aspect culturel et passe avant tout par l’éducation, d’ou la nécessité d’alphabétisation des mères et de scolarisation des filles. La disparition de cette coutume est en marche mais il faudra encore du temps pour y parvenir.
A votre avis, la loi, la répression, est-elle efficace pour lutter contre l’excision ( une coutume) en France ? Que faire selon vous ? Comment s’y prendre ?

Personnellement je suis pour qu’une loi existe à condition qu’elle ne se limite pas à une simple condamnation mais qu’ au contraire elle soit assortie non pas d’une peine de prison mais d’un avertissement solennel avec un travail d’accompagnement ayant une visée pédagogique pour faire comprendre le pourquoi de l’interdiction et de la condamnation de cette coutume. J’ai toujours été contre la criminalisation.car on ne fera jamais admettre à une femme soninké, (ethnie la plus concernée avec les toucouleurs et les bambara) analphabète, qu’elle est une criminelle, pour elle çà n’a pas de sens. Que peut représenter pour elle une peine de prison qui chez elle n’existe pas traditionnellement ? Nous nous heurtons là, à un clivage juridico-culturel. On me dit souvent que plus aucun soninké de Paris ignore l’interdiction, c’est vrai, mais tant que le « pourquoi » de l’interdiction n’est pas compris et intériorisé on n’avancera pas et tout le travail à faire, je le répète, se situe là. Bien sur certains parents sont respectueux de la loi mais attendrons un retour au pays, avec tout ce que cela suppose d’investissement financier, donc de temps, pour le faire. C’est malheureusement un effet pervers qui fait que certaines jeunes sont excisées à 13, 14 ans voire plus avec tout ce que cela sous entend psychologiquement surtout si c’est la première fois qu’elles vont en Afrique quand elles sont nées en France !

Alors comment s’y prendre ? dans cette culture du non-dit ce n’est pas simple et toute la difficulté réside, je viens de l’évoquer, dans la manière de faire comprendre le pourquoi de l’interdiction et des effets néfastes de cette pratique. Au début de l’interview j’ai fait allusion au travail remarquable de l’ONG F.A.W.E qu’il serait trop long de développer ici puisque les lignes sont comptés ! mais je voudrais dire simplement et résumer l’intérêt de leur approche via l’école. En effet après un travail colossal de préparation (que la représentante me pardonnera de ne pouvoir développer ici) avec les enseignants, les conseillers d’éducation, les chefs d’Etablissements l’excision a pu être introduit dans le programme des cours de SVT (sciences et vie de la terre) donc dès la classe de 4ème La question y est abordée du point de vue de l’anatomie, du médical avec tous les risques médicaux immédiats et à plus longs termes, les différentes luttes pour l’éradication etc… Un guide du formateur et de l’élève ont été élaborés Le ministère de l’Education Nationale a soutenu et encouragé cette initiative proposant même d’élargir à d’autres enseignements tels que la philosophie et l’éducation civique. Il faut ajouter que les élèves qui bénéficient déjà de ces enseignements dans 6 régions du Sénégal parrainent des plus jeunes.
   

Moolaadé, le film de Sembène Ousmane
©Les Films du Paradoxe

On a vu des jeunes filles exiger d’être excisées comme leurs copines pour être dans la norme, quelle réflexion vous suggère cette façon d’agir ?

Effectivement dans mon livre il y a un témoignage d’une femme africaine qui raconte avoir demander à sa grand-mère à l’âge de 7ans sa propre excision . Mais à son âge elle ne voyait que la fête qui entourait l’excision, les cadeaux, les bijoux en or etc…Elle maintient ne pas avoir souffert ? et n’avoir aucune séquelles . par contre je suis plus interpellée par le cas d’une femme d’une trentaine d’années ayant toujours vécu en ville et pas excisée qui, rentrant au village pour se marier à demander à être excisée ?

Les femmes pensent que pour éradiquer l’excision, les hommes ont un grand rôle à jouer, pensez-vous qu’ils ont tant de pouvoir dans ce domaine qui en réalité est réservé aux femmes ?

Je pense en partie avoir déjà répondu à cette question. C’est une affaire de femmes entend on souvent dire et certains hommes répliquent même que les femmes veulent en faire leur affaire ? je peux simplement dire que depuis presque 20 ans que je travaille sur le sujet je peux témoigner qu’un grand nombre de petites filles que je connais et qui, ici ou là-bas, ont échappé à la coutume c’est parce que leurs pères s’y sont opposés. Et, parmi les hommes il y a la prise de position des chefs religieux, des imams, des marabouts, des sages comme l’est Sembène Ousmane ( dans son message transmis dans MOOLAADE) qui me paraît essentielle pour que cesse enfin cette pratique.

Jeunes filles devant être excisées dans Mooladé, le film de Sembène Ousmane
©Les Films du Paradoxe
   
Marie-jo BOURDIN, vous m’excuserez mais je vais chercher loin une pensée pour mieux comprendre ce que nous devons faire aujourd’hui : c’est dans l’Aventure ambiguë de Cheickh Hamidou KANE ( Collection 10/18 pages 56 et suivantes) et c’est une femme qui prend la parole et voici la teneur de son propos :

C’est la GRANDE ROYALE qui parle << j’ai fait une chose qui ne nous plaît pas, et qui n’est pas dans nos coutumes. J’ai demandé aux femmes de venir aujourd’hui à cette rencontre. Nous autres Diallobé, nous détestons cela, et à juste titre, car nous pensons que la femme doit rester au foyer. Mais de plus en plus, nous aurons à faire des choses que nous détestons, et qui ne sont pas dans nos coutumes. C’est pour vous exhorter à faire une de ces choses que j’ai demandé de vous rencontrer aujourd’hui.

<< Je viens vous dire ceci ; moi, GRANDE ROYALE, je n’aime pas l’école étrangère. Je la déteste. Mon avis est qu’il faut y envoyer nos enfants cependant.>>
Elle continue son propos et dit : <…< Ces passages ressemblent beaucoup aux attitudes de Colé ARDO dans Mooladé de Sembène Ousmane.
Que pensez-vous de ces propos si on devait changer la notion d’école à celle d’excision ?


Cheickh Hamidou KANE est peuhl, une ethnie attachée à cette coutume et s’il n’avait pas écrit cet ouvrage en 1961 ou ce problème n’était pas d’actualité, il aurait pu se permettre d’aborder ce sujet en faisant s’exprimer la Grande Royale comme il l’a fait pour l’école.
Les propos de la Grande Royale peuvent par certains aspects ressembler à ceux de Colé Ardo en ce sens que toutes les deux provoquent des changements de mentalités, s’affirment et repositionnent la place de la femme dans cette confrontation des deux sexes. Toutes les deux rejètent l’idée que leur conduite soit dictée par des étrangers, l’une dit à propos de l’école nous devons y envoyer nos enfants même si je déteste l’école des étrangers et nous devons accepter de mourir en eux (donc abandonner certaines de nos traditions) et l’autre lutte pour que hommes et femmes acceptent de renoncer à l’excision pour leurs filles. Elle, elle déteste l’excision mais ne la prône pas pour autant bien au contraire elle lutte seule contre tous !
Portail Minkowska Santé Mentale et Cultures
Psychiatrie transculturelle
Seul établissement médico-psychologique où l’on parle baoulé, ewondo, wolof, kabyle, ou encore arabe, le centre Françoise Minkowska, à Paris dans le 17e arrondissement, propose des consultations gratuites aux réfugiés et migrants qui souffrent de troubles mentaux, déclenchés ou aggravés par leur arrivée en France. Ils y trouvent des psychiatres et des assistantes sociales qui les aident à vaincre leurs angoisses et à trouver une place dans leur pays d’accueil.
Centre Françoise Minkowska
12 rue Jacquemont
75 017 Paris
Tél. 01 53 06 84 84
Fax 01 53 06 84 85
Métro La Fourche Ligne 13


L’éditeur est Dakeyo Paul Poète Camerounais
Editions A3, 46 rue barbès
94200 Ivry/Seine

Alpha Amadou Sy du Sénégal a préfacé cet ouvrage. Il est philosophe et écrivain. Il contribue beaucoup dans la presse sénégalaise et a publié aussi en duo avec son confrère philosophe Mamadou Ablaye NDIAYE
: les conquêtes de la citoyenneté : Essai politique sur l’alternance , Sud édition 2003
aussi :
« Africanisme et théorie du projet social » dans la collection « Sociétés africaines et Diaspora », des éditions l’Harmatan de Paris , 2001.
Envoyer | Imprimer | Réagir (8 réaction(s))

   

Partager sur: Partager sur Google Google   Partager sur Yahoo Yahoo   Partager sur Digg Digg   Partager sur Delicious Delicious  
 






Elles ont participé à la manifestation contre Guerlain Maïmouna Coulibaly parle du film La Vénus Noire