Quel bilan tirez-vous de journées comme celle-ci qui vous permettent de rappeler votre combat pour l'esclavage et d'être confronté à votre communauté?
Je ne suis pas confrontée à ma communauté, elle me tient chaud, et j'en suis très contente à chaque fois que j'ai l'occasion d'y être insérée à nouveau, très physiquement, je trouve que ce rassemblement est trop court, une demi-journée c'était insuffisant, nous avons une vraie boulimie d'échanges entre nous, nous avons une habilité d'expression. Nous avons été muselés pendant très longtemps, nous avons besoin de parler dans un premier temps dans le désordre, c'est-à-dire, dire des choses et leur contraire, être inexacts, imprécis, et surtout participer à cette espèce de catharsis, se retrouver ensemble, s'identifier.
Mais nous avons ensuite besoin d'un deuxième temps, c'est pour ça qu'une demi-journée c'est trop court, un deuxième temps plus rationnel, plus rigoureux où déblayant les choses, nous les posons et les ciblons.
C'est satisfaisant quand ça s'additionne à autre chose, mais il faudra qu'on recommence.
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Christiane Taubira durant le Congrès de la Femme Noire Leader en Juillet 2003 à Paris
©ovibes.net |
Autre bilan que je vous demanderai de dresser, c'est celui de l'application de la loi que vous avez fait voter il y a bientôt 4 ans?
La loi a été votée, elle a eu un certain nombre d'applications dans l'immédiat, deux bourses de recherche ont été attribuées, et le concours René Cassin qui est le concours le plus prestigieux des droits de l'Homme, géré par l'éducation nationale a été consacré en 2001 et 2002 à l'esclavage, et le comité de personnalités qualifiées a été mis en place. Cependant je suis frustrée de la non-application de l'article 2 sur les programmes scolaires, la coopération et la recherche, c'est sur cet article 2 que je me suis appuyée pour demander à l'état français de préempter les documents sur la traite négrière qui étaient en vente aux enchères à Lyon.
Il y a également l'article 5 sur lequel certaines associations s'appuient pour attaquer Max Gallo pour ses propos hésitants sur la reconnaissance de la traite négrière et de l'esclavage comme crime contre l'humanité.
Il y a la possibilité, si nous-mêmes nous faisons poids, de faire appliquer les articles de la loi.
La vente de Lyon aura-elle finalement lieu?
Non, les documents ont déjà été préemptés par les Archives Nationales, et retirés de la vente, mais pour ma part j'estime que c'est une première victoire, et qu'il faut la systématiser, c'est pourquoi j'ai saisi le Garde des Sceaux, à qui j'ai demandé de compléter la loi par un decret d'application qui précise que ces documents qui sont liés à un crime contre l'humanité soient exclus de toute transaction commerciale.
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Christiane Taubira et notre journaliste
©grioo.com |
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Vous avez interpellé récemment les présidents africains sur leur inertie dans la commémoration de la traite alors qu'ils pourraient participer à informer les populations restées en Afrique,
Lorsque je me rends en Afrique je parle aussi librement que lorsque je vais n'importe où, et tant pis si ça me rapporte des coups de massue sur la tête. J'ai des choses à dire à l'Afrique, aux peuples africains, mais aussi aux institutions publiques africaines et je les dis très librement. Je provoque des mécontentements mais je provoque aussi une respiration extrêmement forte, une oxygénation de ces sociétés, pas pour les personnes qui se battent déjà, qui parfois n'ont pas voix au chapitre, n'ont pas la possibilité d'exprimer les attentes, et ces attentes-là je les relaie.
Oui, l'Afrique est un continent qui a été pendant des milliers d'années, et qui l'est encore, victime de la traite négrière et de l'esclavage, par les arabos-musulmans mais aussi par les puissances européennes.
Oui en Afrique, on a trouvé des complices, des personnes qui ont été intermédiaires dans le système, mais l'Afrique a été globalement victime, et surtout l'Afrique a produit de prestigieuses civilisations, et j'estime qu'elle doit être capable aujourd'hui d'élever une parole claire sur les grandes valeurs universelles que sont la justice, la fraternité, la solidarité, l'égalité des droits, et ces paroles je veux les entendre de la part du continent africain, et je veux que le continent africain sorte de son repli culpabilisant, et arrive à retrouver sa place dans le concert des nations, et j'attends une parole publique, c'est pour cela que j'interpelle les institutions publiques, les parlements et les gouvernements.
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