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Sandra Bérété, créatrice en bijoux haut de gamme, haute joaillerie
La rubrique "parcours" fait sa première incursion dans le domaine du luxe
 26/12/2004 Par Hervé Mbouguen
 
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Sandra Bérété n'a pas peur d'être un pot de terre contre le pot de fer qu'est l'industrie du luxe qui en France a massivement investi la Place Vendôme. Métis africano-antillaise avouant volontiers avoir un "imaginaire africain", et fustigeant l'attitude des médias "communautaires" qui feignent de la soutenir mais publient des articles sans montrer de photos de ses bijoux, elle a accepté de répondre aux questions de la rédaction, et revenir sur son "parcours" et sur la façon dont elle travaille aujourd'hui

Sandra Bérété
   
Pouvez-vous vous présenter aux internautes ?

Je m’appelle Sandra Bérété, je suis née à Paris. Mon père est de la Guinée-Conakry, ma mère est des Antilles. Je suis créatrice en bijoux haut de gamme, haute joaillerie.

Au terme d’études qui vous ont vu faire une classe préparatoire littéraire, hypokhâgne, au lieu de devenir un professeur, vous basculez dans le monde de l’art : qu’est-ce qui explique ce revirement ?

C’est une bonne question à laquelle j’ai moi-même mis du temps à répondre. Disons que je j’étais intégrée dans un très bon lycée parisien en lettres classiques, et c’étaient les débuts du mélange entre les classes préparatoires à Normale Sup et à Science Po.
A la rentrée, on nous expliquait que nous étions « l’élite de la France ». J’avais trouvé cela mensonger étant déjà consciente que selon les origines et horizons sociaux nous n’aurions pas tous les mêmes destinées. J’avais déjà un réveil « militant »; parallèlement j’avais déjà des amis dans le mileu des Beaux-arts avec lesquels je sentais de réelles affinités, je me suis donc découvert une certaine attirance pour ce milieu qui m’offrait à priori plus d’épanouissement, de liberté, et de vérité aussi.
   

Collier "Funny Globe", hommage à l'art africain via l'art déco.3 exemplaires Diamants brun cognac et blancs (parure pendants d'oreille et bague)

Vous commencez comme assistante galeriste ?

Tout à fait. Cela consiste à faire des visites d’ateliers d’artistes peintres ou sculpteurs pour comprendre et sélectionner leur travail, à aider les galeristes à organiser les collections, à recevoir les collectionneurs dans la galerie. J’ai fait cela pendant 6 ans à Paris, dans le quartier de la jeune peinture à Bastille, et j’ai fait un passage dans une fondation de promotion d’art contemporain.

Qu’est-ce qui vous pousse à quitter le domaine de la peinture et de la sculpture pour devenir une personne qui crée des bijoux ?

Plusieurs choses y ont concouru. Il y a eu le contexte international de l’art puisque après la première guerre du Golfe plusieurs galeries d’art contemporain ont fermé. C’était un milieu qui avait connu jusqu’à la fin des années 80 beaucoup de spéculation et de surenchère. Des collectionneurs ont perdu de l’argent, et une bonne partie des galeristes d’art contemporain ont dû fermer.
Par ailleurs, étant assistante de galeriste, je n’avais pas un poids décisionnaire au niveau des orientations esthétiques de la galerie. Tout ce contexte m’a conduite à décider de mettre en pratique ce que des amis artistes avaient décelé en moi, une créativité, une sensibilité artistique, et de passer de l’autre côté de la barrière.
La rencontre avec Henri Gargat, maître joaillier ami de Dinh Van et collaborateur de la maison Boucheron, que j'avais contacté de mon propre chef, a été décisive.

Bague Marlonaine en or 18 cts et cristal de roche taillé
   
Vous commencez par apprendre à dessiner des bijoux : c’était important pour vous d’apprendre?

C’était essentiel parce que c’est un métier où la précision est primordiale. Il faut savoir que les proportions dans un bijou sont fondamentales, et que l’œil d’un designer peut déceler des défauts de proportion au millième près. Je tiens à dire que j’ai été au culot, je suis allée voir un studio de création travaillant pour la Place Vendôme qui avait un contrat d’exclusivité avec la maison de cristal Baccarat. Je leur ai dit que je voulais apprendre la technique des « roughs », qui consiste à faire des croquis et développer sa créativité. J’ai vraiment dû convaincre ce studio connu dans la profession qui par principe n’admettait que des stagiaires de la prestigieuse école Boulle qui forme le haut artisanat d’art à Paris.
   

Stéphane Bern
©infrarouge.fr

Un détail peut sembler paradoxal chez vous, c’est que vous n’hésitez pas à qualifier vos origines de « modestes », mais pourtant vous vendez des bijoux que bien peu de gens de votre entourage doivent pouvoir s’offrir ?

C’est une remarque qui m’a souvent été faite, on m’a dit en effet que je n’étais pas issue d’un milieu huppé, mais que je me « permettais » d’exercer dans le domaine du luxe.
Je réponds que c’est un challenge, qu'il y a bien sûr des difficultés de trésorerie, qu'il faut du temps pour se faire connaître, en somme tous les problèmes classiques du marketing du luxe quand on n’est pas dans un grand groupe, mais à partir du moment où j’ai des aptitudes et ce don, je me sens capable de relever ce challenge, d’autant plus que j’ai toujours été encouragée par des personnes-clé du monde du luxe dans les moments difficiles: Jean-jacques Picart, ancien associé de Christian Lacroix et actuel conseiller de LVMH m’a recommandée chez Baccarat à la vue de mon travail. L’animateur télé et radio Stéphane Bern a sélectionné les créations Ode Saint-Lys dans la rubrique « shopping » de son site www.chateauxcountry.com du fait qu’elles plaisent à la gente aristocratique.

Collier Star:or jaune et cristal de roche
   
Vous avez néanmoins en face de vous une industrie, celle du luxe, les investissements nécessaires se comptent en millions d’euros, ne vous trouvez-vous tout de même pas dans la position du pot de terre contre le pot de fer ?

Disons que le contexte du marché international joue en ma faveur en tant que designer au style très identifiable et en celle de l’artisanat d’art qui revient en grâce.
Face au marketing systématique des grands groupes, il est vrai que les clientes ont une aspiration à se démarquer, avec l’émergence d’une clientèle internationale entre 30 et 45 ans, qui a les moyens, qui est moderne, et qui veut une certaine originalité contemporaine, glamour, branchée et qui trouve, ce n’est pas moi qui le dis, que la créativité des grands groupes baisse.
La charge symbolique très forte et émotionnelle du bijou, de la parure, n’est pas compatible à moyen et long terme avec l’uniformisation, voire la globalisation du marché du luxe. Le problème de tout designer , quelque soit son origine,est la visibilité de ses créations, et sans conteste, communiquer dans le monde d’aujourd’hui a un prix…
Le problème spécifique que je rencontre dans notre communauté est l’accès aux capitaux, l’identification des investisseurs potentiels.
   

Bague Vague d'amour en or 18 cts et citrine taille exclusive en vague

A niveau de créativité comparable un créateur appartenant à la communauté asiatique (Hong Kong, Japon), juive, ou avec un nom à particule aurait déjà trouvé un partenariat depuis longtemps.

D’un point de vue des origines, comment se répartit votre clientèle ?

Je tiens à dire que ma clientèle est majoritairement anglo-saxonne, américaine et anglaise, autour de 40-50%. Une clientèle moyen-orientale pour près de 25%. Les 25% restants viennent de l’Europe du Nord, Suisse, Allemagne, Belgique, et la France, surtout composée par une clientèle show-business.

Pas d’africains dans votre clientèle : comment l’expliquez-vous ?

Aucune dame africaine ayant les moyens ne fait partie de mes clientes.
Pardonnez-moi le terme, mais je l’explique par un snobisme des femmes de la communauté qui ont les moyens, mais qui préfèrent porter les grandes marques de la Place Vendôme ou de l’Italie.

Bague Rêve d'orchidée: or jaune 18 cts, Emeraude 12 cts, 4 diamants
   
Vous n’hésitez pas non plus à dire que vous ne vous sentez pas très soutenue par les médias afro-antillais

Non, en effet. Il est vrai que ça surprend de voir quelqu’un comme moi dans le domaine de la haute-joaillerie, principalement occupé par les grands groupes. Cela crée des surprises, peut-être de mauvaises surprises, et ça engendre de la méfiance, les gens se disent que ce n’est pas possible, qu’il y a quelque chose derrière, ce à quoi je réponds oui puisque je crée mes bijoux pièce par pièce depuis 5 ans. J’ai dû pendant longtemps accepter des commandes juste pour autofinancer la réalisation des pièces et ainsi constituer ma collection au fil du temps en travaillant à côté.
Oui il y a un certain boycott de la part de la presse afro-antillaise, surtout au niveau des illustrations où l’on ne « veut pas prendre de risques », «attendant que je sois connue », et qui publie des articles sans montrer de photos des bijoux pour crédibiliser !


Revenons un peu à votre activité artistique. D’une manière générale où puisez-vous votre inspiration ?

Je suis ce qu’on appelle en France quelqu’un de la « deuxième génération », mais je considère avoir un imaginaire « africain ». Pétrie par ailleurs de culture des beaux-arts et du design, je m’inscris dans une source d’inspiration qui est toujours un hommage à l’art africain, tel qu’il a été approprié par exemple par le courant surréaliste et par les Arts décoratifs.
C’est donc toujours un hommage à l’art africain via l’art-déco et le surréalisme, alliés à la haute technicité de la joaillerie française.
   

Bague de fiançailles "I Want U!" en rubellite, or blanc et diamants, commandée par la célèbre créatrice en lingerie Vannina Vespérini pour ses fiançailles d'après dessin

Quel est le processus qui vous mène de l’ébauche d’idée au bijou porté par une femme ?

Disons que j’ai des thèmes de prédilection. J’aime beaucoup les orchidées, l’émotion vient d’un flot de pierres. La définition de la joaillerie c’est la création autour de pierres précieuses ou semi-précieuses, donc, l’impulsion créatrice vient d’abord des pierres que j’achète parce que je les trouve très belles au niveau de la couleur, de la taille, et le processus de création est ainsi enclenché.
Je prépare des dessins à l’échelle 1. Je vais voir le maître-joaillier, je travaille avec des maîtres artisans qui oeuvrent également pour la Place Vendôme. On peut évaluer ensemble les difficultés techniques à résoudre, le temps que cela prendra, et je peux chiffrer le prix de revient puisqu’il faut savoir que la joaillerie est un artisanat très pointu, et qu’il y a plusieurs étapes : réalisation de la maquette, il faut les moules dans lesquels on coule l’or ou le platine, une phase avec le sertisseur (la personne qui fixe les pierres dans le bijou).
Il s’agit en général de modèles uniques ou de toutes petites collections parce que les pierres dont nous partons sont uniques de toute façon : la nature ne reproduit pas deux fois une jolie pierre.

Alhassane Agaly
   
Vous travaillez souvent avec des artisans africains ?

J’ai deux lignes. Une de haute-joaillerie qui utilise de l’or, du platine, des pierres précieuses et semi-précieuses, et j’ai une ligne que j’appellerais « bijoux-couture » qui est en or, et en cristal de roche taillé, entièremement faite à la main, et qui est inspirée des contes de faits et des légendes.
Pour certaines pièces, un peu par militantisme, j’ai décidé de faire travailler des touaregs du Mali. Je dis par militantisme parce que ce n’est pas évident, il faut du volontarisme, nous avons certaines normes de finition et des délais à respecter, et j’ai été très contente de rencontrer un artiste malien Alhassane Agaly qui a d’ailleurs reçu le premier prix d’artisanat de l’UNESCO en 2000, avec qui je collabore très bien.
   

Collier en or blanc, perles de cristal de roche irisées, nacre, orné d’une pièce en argent représentant d’un côté un portrait et de l’autre la chouette symbole d’Athènes, Grèce, IV ème siècle avant J.C.

A côte de ce processus habituel, vous aidez des gens qui veulent des bijoux uniques à réfléchir sur leurs désirs, et vous leur faites des propositions ?

C’est ce qu’on appelle la partie « commandes spéciales ». Pour nous designers en haute joaillerie, c’est ce qui doit constituer à terme notre cœur de métier : répondre à cette envie d’exclusivité et d’originalité des femmes, et leur proposer, par rapport à leurs goûts, des pièces qui les mettront en valeur, et qui sont très personnalisées.

Si vous aviez un conseil à donner à une jeune afro-antillaise souhaitant vous imiter, quel serait-il ?

Tout d’abord je tiens à dire que « les conseilleurs ne sont pas les payeurs ».
A partir du moment où elles ont une aspiration, un projet précis, il faut impérativement qu’elles confrontent leurs aptitudes : il faut du professionnalisme, il faut une bonne formation, aller voir les meilleurs spécialistes, ouvrir les portes en ayant du culot.
Si vous avez les aptitudes et la persévérance, et qu’après confrontation vous recevez des encouragements, persévérez.
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