Grioo Pour Elle
 



 
Accueil > Personnalités > Pleins feux sur... > Aude Minart, une galeriste passionnée de l’art contemporain africain
+ Retour au sommaire de la rubrique
     
Aude Minart, une galeriste passionnée de l’art contemporain africain
Grioo vous présente cette semaine une galeriste française, qui s'est prise de passion pour le continent dit noir, et qui travaille avec de nombreux artistes africains
 10/12/2004 Par Aïssatou Baldé
 
Envoyer
Imprimer
Réagir

Aude Minart, se passionne pour l’art contemporain africain depuis le début des années 90.
Fin des années 90, elle découvre au Sénégal et plus particulièrement à Dakar, de jeunes artistes talentueux. Ces artistes évoquent pour elle une culture très intéressante et différente de celles des pays occidentaux.
Elle décide donc de s’installer à Dakar pour découvrir et accompagnée le travail des artistes en Afrique dans leur atelier.
En exposant les œuvres de ces artistes à Paris elle montre aux occidentaux en les sortant des clichés, que l’art contemporain africain est d’une grande qualité, aussi bien dans la création que dans la sensibilité.

Aude Minart
   
Vous avez sillonné de nombreux continent, vous avez voyagé en Amérique Latine, au Moyen-Orient, dans le Sud-est Asiatique et en Afrique. Pourquoi est-ce le continent africain qui a plus retenu votre attention ?

C’est au niveau humain que le choc a été le plus formidable et peut-être avec des répercutions plus profondes. Effectivement, la découverte de l’Afrique a été comme une espèce d’enchantement, de redécouverte de l’être humain, c’est vraiment une question d’essence, de quintessence. On arrive en Afrique, on est transporté par une force et Dieu sait qu’on est à l’inverse du matérialisme et du coup on revient à l’essence des choses ; qu’est-ce qui nous fait vivre et comment les rapports humains sont établis. J’ai trouvé « mon karma » en Afrique, la façon dont les choses se déroulent et le rapport aux hommes sont dans une notion en-dehors de toute matérialité, on est dans le rêve, on refait le monde, donc le continent africain permet des idées, de la rêverie et de l’action, alors que dans nos sociétés très figées, standardisées comme en Europe, le ticket d’entrée pour pénétrer dans un secteur d’activité est très élevé, il faut être fort tout de suite sinon on est mangé. Je crois qu’en Afrique il y a la possibilité d’avoir une initiative privée à la taille d’une personne.
   

Serges Mienandi Congo-Brazzaville

Justement, par rapport à l’art contemporain africain, c’est cet aspect humain et désintéressé qui vous a interpellée ?

En fait, j’ai été amenée à promouvoir l’art contemporain africain pour deux raisons ;
A la fois le fait de voir qu’il y a des artistes excellents et de nombreux artistes en Afrique, et les répercutions presque nulles qu’il y a en France de l’art contemporain africain. Autant on parle des objets anciens, autant il y a de grandes ventes qui se passent chaque année pour des objets dits « arts premiers », autant l’art contemporain africain est délaissé et beaucoup ne l’estime pas. Donc, d’un côté on trouve une forte volonté des artistes africains de se promouvoir à l’internationale, et de l’autre côté une méconnaissance totale. Il est donc important d’apporter sur un plateau, je dirais, cette Afrique contemporaine, urbaine, le travail de ces artistes qu’ils soient autodidactes ou qu’ils est reçu un enseignement par un maître, ou qu’ils est faits les Beaux-Arts.

Musaa Baydi (sénégal)
   
Comment choisissez-vous les artistes que vous exposez ?

De nombreux critères se dégagent. Premièrement, la recherche d’artistes donc une rencontre, il y a un véritable effort pour aller en dehors de la ville, dans les banlieues, c’est pas très facile de se déplacer et ce sont des banlieues plus ou moins sûres, tout comme une banlieue en Europe ou au Etats-Unis d’ailleurs. Il faut donc être aventureux. Une fois la rencontre faite avec l’artiste, il faut qu’il y est réellement de la sympathie qui se dégage, que le travail plaise et que les conditions techniques puissent s’appliquer, c'est-à-dire que si tous les travaux que je vois font 3 mètres sur 4 je ne pourrais pas forcément les ramener en Europe. Ensuite, ce qui est important également c’est de sentir que c’est un artiste qui va persister à être artiste. Ce n’est pas je suis artiste pour passer le temps ou alors maintenant que j’ai fait une exposition à l’étranger je suis tellement célèbre que je n’ai plus besoin de vous. Manager, gérer un artiste, c’est gérer une personne avant tout et c’est peut-être plus compliqué. Mais un artiste et un galeriste c’est réellement une équipe, on se tient la main dans la main.Un bon travail, une bonne communication, une bonne présentation, la relation c’est les deux ensemble, c’est ce couple qui va faire que les choses fonctionnent. C’est réellement un choix et il faut que le courant de sympathie passe également c’est capitale, plus que de la sympathie c’est de l’empathie, il faut adhérer totalement à son travail, son style de vie, à sa projection dans le futur, c’est de l’amitié et plus je vois les artistes, plus cette amitié s’approfondie. J’ai tendance à travailler avec moins d’artistes mais avec des artistes le mieux possible. Alors ce n’est pas très encourageant pour ceux qui cherchent un galeriste (rires), ceci dit je laisse une chance, je reste ouverte aux propositions. De toute façon chaque fois que je vais dans un pays je rencontre des artistes que je connais déjà, avec lesquelles je travaille, et systématiquement je suis à la recherche de nouveaux artistes. Ensuite, mon choix personnelle se dégage pour accueillir de nouveaux artistes ou pas.
   

Aïcha Aïdara Sénégal

Par rapport à cette relation que vous entretenez avec les artistes, on a le sentiment que vous avez plus une démarche de reporter. Un peu comme certains photographes, vous avez le souci de la relation approfondie (lien d’amitié, de confiance), pour réussir à ramener pas seulement de belles œuvres mais aussi une part intime de la vie de l’artiste qu’il a bien voulu vous dévoiler grâce à votre approche respectueuse.

Tout à fait, je pense que ce qui motive cette vie c’est cette relation à l’autre. Ensuite, cela s’applique à la photo si l’on est photographe, cela s’applique au cinéma pour un cinéaste, et cela s’applique effectivement à moi dans la mesure ou je vais en Afrique chercher, découvrir. Si je restais à Paris à attendre que les artistes viennent à moi, la démarche serait un peu différente. Je précise que ne pouvant me rendre en Afrique tous les mois, je promeus également les artistes d’origine africaines qui vivent en France. Il est très important de soutenir les artistes qui ont la démarche de venir en France pour un moment ou qui on décidé de s’établir, les conditions ne sont pas faciles, la concurrence est rude, une concurrence que les artistes en Afrique n’imaginent absolument pas. En Afrique, on va dans leurs ateliers, on achète comme ça, la démarche commerciale est réellement réduite à zéro. Quand quelques artistes émergent, aussitôt la presse locale en parle, les quelques galeries exposent les artistes, il n’y a absolument pas un travail de marketing à faire en Afrique, alors qu’ici le travail médiatique, relationnel, a autant d’importance que la qualité de l’œuvre. Je ne peux qu’encourager les artistes qui en n’ont la possibilité d’aller en dehors de l’Afrique et de voir de leurs propres yeux, de sentir comment les choses se passent. Chaque fois qu’un artiste est venu en Europe, que je les ai invités à Paris, j’ai fait des vernissages en leurs présences, cela a été très intéressant. La relation est très riche, pour eux, avec la possibilité de voir des musées, galeries et de voir comment leurs œuvres sont perçues par un public différent. Le public africain qui se rend dans leurs ateliers cela veut dire qu’ils connaissent déjà leur travail, ils ont la démarche de venir pour acheter, hors qu’à Paris, on est tout le temps sollicité pour aller à des vernissages, mais on y va pour rencontrer des amis et éventuellement pour acheter.

Camara Gueye Sénégal
   
Selon vous, que faudrait-il faire pour que l’art africain ne soit plus perçu comme un art primitif ?

Montrer. Changer l’image de l’Afrique c’est aussi changer l’image que les médias en donnent ; toujours ces images de guerre, de famine. C’est vrai que cela existe mais en dehors de ça il y a de bonnes nouvelles, des choses qui marchent, des capitales dynamiques, il y a de la culture. Il y a un vrai problème d’image médiatique. Par exemple, en ce moment ce qui se passe en Côte-d’Ivoire, combien de personnes me disent : « Alors ? », je leur réponds : « Mais je vais à Dakar ! » Il y a une assimilation totale et quelque soit l’échelon de la personne avec qui vous parlez, le nombre de fois ou les gens vous disent « l’Afrique ce pays ». Non, l’Afrique ce continent de 52 pays. Je pense que cela est basique mais ça traduit une méconnaissance de l’Afrique, on est dans le stéréotype, le cliché et ça nous plaît de rentrer dans des images faciles, des images de colonisateurs, cela nous rassure. Il faut montrer au public que la création existe, c’est fait par un africain et ce que je vois est d’une qualité semblable à n’importe quoi d’autre.
   

Matar Khali

Pouvez-vous nous parler de votre parcours, comment êtes- vous devenue galeriste ?

J’étais dans le journalisme et c’est mes voyages en Afrique qui m’ont fait rencontrer des artistes très valeureux. En parallèle, j’assiste à de nombreuses conférences, séminaires, je me forme sur l’art contemporain en général et à Paris on est bien gâté car on y trouve énormément d’institutions, de colloques,conférences d’un très haut niveau. La galerie c’est un engagement, c’est la créativité vous n'avez jamais terminé de connaître un artiste, de connaître les techniques. Ce qui est passionnant avec les artistes africains c'est que, une fois qu'ils quittent l'Afrique, ils arrivent à avoir accès à des techniques qui marchent bien et rapidement parce que même si il y a internet partout, en Afrique il est difficile de travailler avec un ordinateur équipé d'internet haut débit. Par exemple là je présente de la vidéo en 2005 d'un artiste qui en ce moment vit entre Dakar et Oslo, c'est formidable de pouvoir faire rentrer un artiste d'Afrique dans l'Universalité artistique.

Quels sont vos projets en cours?

Je présente du 7 au 17 décembre cinq artistes: Sokey Edorh (peintures), un togolais qui a été sélectionné à la Biennale d'Art Contemporain de Dakar de 2004, qui fait un travail sur l'écriture. Koffi Comar (dessins), artiste togolais qui habite en France, présente des dessins très spontanés, expression libre. Nelson Teixeira (peintures), un artiste du Cap-Vert qui vit en France et a déjà un beau parcours au niveau international. Serge Mienandi (peintures), artiste du Congo Brazzaville, qui représente l'école de Poto-Poto. Et l'invité surprise est Nathalie Vekhoff (scultures) qui travaille de la sculture noire, qui fait son propre matériau, travaille avec le bois.

lagalerieafricaine.com le site d'Aude Minart
   
Pensez-vous faire partager votre passion de l'art contemporain et la sensibilité que vous avez par rapport à l'Afrique, en vous tournant vers un autre continent?

Ce serait bien de pouvoir être universel, je n'exclus rien mais pour l'instant il y a deux grandes lignes directrices dans ma démarche: premièrement, c'est de pouvoir être reconnue en tant que galerie d'art contemporain africain à Paris, car il y a plus de 500 galeries à Paris, il est donc important que les gens puissent définir votre identité. C'était très important pour moi de m'identifier en tant que tel. Deuxièmement, cela répond à un vrai besoin de la part de l'Afrique et pour moi à une vraie passion, un véritable engagement. Je pense que c'est ça aussi d'être galeriste, c'est d'avoir une passion et un engagement car c'est un exercice sur du long terme, c'est des années d'investissements. Ayant vécu dans beaucoup d'endroits, je pense que dans 10 ou 20 ans je souhaiterais avoir une fondation universelle. Vous savez, l'universel n'est pas nouveau, depuis trois ou quatre ans les gens parlent d'universalité, de globalisation, mais reprenez le texte de Senghor qui parle de la Civilisation de l'Universelle, quel beau pionnier. Tout ceci date de 40 ans, et je pense que le plus important c'est d'être ouvert aux autres, à la différence et pour l'instant ce qui me passionne c'est de pouvoir présenter des oeuvres venant d'artistes africains tout à fait remarquable, et idéalement avoir une fondation qui ferait voyager le spectateur d'un continent à l'autre avec ce qu'il y a de meilleurs et de contemporain. J'insiste sur cet aspect de création, de créativité; c”est au moment où les artistes créent, au moment où ils sont vivants qu'ils ont besoin d'être soutenus, de pouvoir nourrir leur famille, et non pas mourir comme Gauguin ou beaucoup d'autres totalement démunis. C'est tout ça qui me motive énormément Voilà, je leurs souhaites une vie réussie, une vie de création.


Aude Minart présente l'exposition “Vibrations Noires,”
du 7 au 17 décembre, TLJ de 11h30 à 19h30
Espace Mezzara de Guimard Monument Historique
60, rue la Fontaine 75016 Paris métro Jasmin.

Envoyer | Imprimer | Réagir (0 réaction(s))

   

Partager sur: Partager sur Google Google   Partager sur Yahoo Yahoo   Partager sur Digg Digg   Partager sur Delicious Delicious  
 






Elles ont participé à la manifestation contre Guerlain Maïmouna Coulibaly parle du film La Vénus Noire