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Euzhan Palcy, réalisatrice de "Une saison blanche et sèche", seconde partie
Dans ce second et dernier volet, Euzhan Palcy revient en détail sur les péripéties ayant précédé le tournage de "Une saison blanche et sèche" et sur ses projets à venir
 29/11/2004 Par Hervé Mbouguen
 
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Euzhan Palcy à Sundance
©euzhanpalcy.com
   
Un peu plus tard un nouveau mentor en Robert Redford aux Etats-Unis, et l'intérêt suscité chez Marlon Brando vous permettent de faire votre second film majeur, "Une saison blanche et sèche". A-t-il été difficile de tourner ce film en pleine période d'apartheid, tout en composant avec les exigences d'Hollywood?

Après le succès de "Rue Case Nègres" qui a connu un grand succès aux Etats-Unis, Robert Redford m'a proposé de participer au laboratoire de "Sundance" qui entrait dans sa deuxième année. J'ai été choisie parmi 10 candidates pour représenter la France. Comme il fallait avoir un projet, j'y suis allée avec le roman "Une saison blanche et sèche" d'André Brink, et Robert Redford me demanda quels étaient mes projets.
Je lui ai expliqué que je n'avais pas de producteur mais juste un roman, et que personne en France ne voulait produire le film, parce qu'il traitait de l'apartheid et que personne ne voulait se mouiller. Je lui ai montré cinq lettres de studio comme la Warner qui voulaient m'inviter à Hollywood où je ne voulais pas aller parce que je ne pensais pas m'y trouver à l'aise parce que ce n'était pas mon monde.
Il m'a conseillée d'aller à Hollywood, discuter avec eux, et de refuser si les propositions ne me convenaient pas, au lieu que je m'autocensure avant même d'avoir essayé.
   

"Une saison blanche et sèche"

Sur ces paroles il appelle son assistante à qui il demande de contacter la Warner pour organiser mon voyage "dans une semaine", et m'a littéralement mis dans l'avion (rires).
Je suis allée à Los Angeles où j'ai rencontré cette dame et qui me proposait toutes sortes de choses qui ne m'intéressaient pas. Tous les scénarios qu'il me proposait ne comportaient que des personnages blancs.
Quand je dis ça, je ne suis pas raciste, mais je suis une metteur en scène, je fais des films certes, mais j'ai des racines et une culture: ils ont vu "Rue Case-Nègres", ont apprécié le film et n'avaient pas la décence de me proposer des scénarios dans lesquels il y avait au moins un personnage noir!
Je pense qu'au bout d'un moment la dame a compris mes réticences, et me dit "j'ai quelque chose qui vous plaira", et elle me sort Malcolm X. Je lui ai dit que je ne pouvais pas faire Malcolm X parce qu'il est un personnage très controversé, que nous connaissons bien dans la diaspora, mais pour moi il était plus correct que ce soit un noir américain qui fasse ce film. Je ne voulais pas qu'ils se servent de moi pour faire un Malcolm X à la "sauce Hollywood" comme ils se sont servis, avec son consentement certes, d'Alan Parker pour faire Mississipi burning, une distorsion, une falsification de l'histoire.

Je lui ai dit de ne pas être déçue de mes refus, et je lui ai montré, "A dry white season" d'André Brink. Elle l'a lue pendant deux jours au bout desquels elle a organisé un déjeuner à la Warner avec sept productrices pour que je leur raconte ma vision du film que je comptais faire. Ces femmes étaient en larme comme seuls les américains, qui pleurent facilement, savent l'être. La dame me dit alors qu'ils vont faire le film, mais j'ai vite compris que nous n'étions pas sur la même longueur d'onde, mais j'ai décidé de signer et de faire changer les choses après.

Donald Sutherland en "Ben Du Toit"
©euzhanpalcy.com
   
Elle voyait une histoire d'amour, parce qu'il y a une histoire d'amour entre Ben Du Toit et Mélanie la journaliste, mais qui n'arrive que dans la seconde partie du film, et elle, en bonne femme d'Hollywood n'avait vu que cette histoire d'amour sous fond d'apartheid alors que je voulais montrer l'histoire de deux familles blanche et noire vivant côte à côte, et ce qui passe quand un homme au nom de sa dignité d'homme va condamner un système dans lequel il a vécu depuis son enfance, et ce que ses propres frères lui feront, tout en montrant ce qui se passe dans la famille noire. C'est ce que je voulais raconter et surtout gommer l'histoire d'amour.

Sur ce, le film de Richard Attenborough, "Cry freedom" arrive. Ils se disent que deux films sur l'apartheid c'est trop, et ils ont mis le film dans un tiroir. Pour eux c'était facile, ils font ça tout le temps. Mais ce qu'ils ne savaient pas c'est que j'avais commencé mon casting, que Marlon Brando était dans le film, Susan Sarandon aussi prête à ne toucher que 25% de son cachet.
J'ai décidé d'aller ailleurs, sans leur dire que j'avais ces deux cartes maîtresses avec moi parce que je voulais qu'ils décident de faire le film seulement parce que le film était intéressant, mais pas à cause du come-back 10 ans plus tard de Marlon Brando.
   

Euzhan Palcy avec Marlon Brando
©euzhanpalcy.com

Nous avons vu Alain Latch Jr à la Métro Goldwin Mayer, le producteur européen d'Hollywood. Avec le recul j'ai vu combien j'étais gonflée à l'époque!
Ils voulaient Paul Newmann pour le premier rôle, mais je préférais Donald Sutherland qui faisait moins d'entrées au box-office. Ce n'est pas une fiction que je voulais faire et il était important que les gens s'identifient à Ben Du Toit. Si on avait pris Paul Newmann ce n'aurait plus été Ben Du Toit qu'ils auraient vu, mais Paul Newmann.

Deuxième condition, je ne voulais pas d'acteur noir américain. Si Hollywood décide de faire un film sur l'apartheid, il faut que ce soit un film vrai. Je voulais que mon film reflète la vérité. Il me dit alors que si les acteurs existent, pourquoi pas? Je lui révèle alors que Brando a accepté de jouer dans le film et qu'il le fait gratuitement. Et Susan Sarandon pour 25% de son cachet. C'était sa récompense pour avoir accepté mes contraintes d'artiste.

"Siméon"
©euzhanpalcy.com
   
Les internautes auront probablement apprécié de partager avec vous les dessous de ce film.
Par la suite, "Siméon" puis un hommage à votre premier parrain, Aimé Césaire, vous font revenir aux Antilles?


J'ai quitté les studios qui me bombardaient de près de 15 projets par mois. C'étaient des scénarios similaires, jamais avec l'histoire d'une famille noire, ça m'agaçait prodigieusement. Il ne me restait qu'une solution: fuir. Je rentre en France, je monte une société de production, et je fais "Siméon".
Pourquoi? Parce qu'après avoir fait "Une saison blanche et sèche" je suis restée malade pendant un an. Je ne pouvais pas voir un visage noir à la télévision sans craquer. Un vieux noir une vieille négresse dans la rue me faisaient le même effet. Je regardais ces visages, et me demandais combien d'années de misère, de souffrance, et le problème racial à l'égard du nègre n'est toujours pas réglé.
Je craquais littéralement il me fallait m'en sortir. "Siméon" a été comme une thérapie. Je me suis plongée dans la musique traditionnelle à fond, et c'est comme ça que "Siméon" est né, en réponse à cette souffrance.
   

Euzhan Palcy et Aimé Césaire
©euzhanpalcy.com

Vous restez dans les Antilles pour un hommage à votre premier parrain, Aimé Césaire

J'ai décidé après Siméon d'honorer une promesse faite à Césaire. Je ne pouvais pas être cinéaste, être proche de lui, et ne pas lui rendre hommage de son vivant.

J'ai donc choisi de lui consacrer une trilogie "Aimé Césaire, une voix pour l'histoire". J'ai passé 3 mois dans son intimité, à le suivre, à l'interviewer, puis je suis repartie aux Etats-Unis, puisque les projets que j'essayais de développer en France "étaient trop noirs"...


Euzhan Palcy
   
Justement, comment vous la martiniquaise expliquez avoir connu plus de succès aux Etats-Unis qu'en France?

Tous les projets que j'ai essayé de développer n'ont pas trouvé de producteur. Je suis arrivée à un moment de bascule, quand la télévision a commencé à financer le cinéma alors que c'était l'inverse. Tout ce que je proposais "était trop black" et on me demandait de réécrire, ou de songer à intégrer Gérard Depardieu ou Daniel Auteuil. A Hollywood on me bombardait de projets blancs, je reviens en France, je fais "Siméon", qui est financé parce qu'il y avait de la musique et aussi parce qu'il y avait Kassav': la touche exotique leur plaisait. J'avais l'impression de me retrouver à Hollywood. Je ne pouvais pas accepter que ma race soit insultée en France, pays que je considérais comme mon pays aussi: j'y ai fait mes études, j'y paie mes impôts, mes parents sont morts pendant la guerre pour elle. Je comprenais que des américains se comportent ainsi, mais pas des français.
Entre-temps les américains n'arrêtaient pas de me solliciter. J'ai décidé de repartir aux Etats-Unis et développer un certain nombre de projets, dont certains se sont faits, d'autres pas. J'ai par exemple travaillé pendant 3 ans et demi sur ce qui aurait été le premier dessin animé noir produit par un studio, la Fox. J'étais scénariste et productrice exécutif pour la Fox. J'ai écrit le scénario avec une amie, et l'animation a commencé dans les studios de la Fox qui essayaient de rivaliser avec Disney et les autres. Malheureusement le film "Titan" a été un flop total et leur avait coûté 80 millions de dollars!, ce qui était énorme. Ca a coûté son poste au chef de la Fox, et la Fox a perdu son studio d'animation. Les 450 personnes qui y travaillaient, venant du Bangladesh, de France, d'Irlande, de partout dans le monde ont été renvoyées chez elles, et mon film est resté dans un tiroir parce que la Fox n'avait plus de studio d'animation. C'était une histoire fabuleuse.
   

Bessie Coleman
©http://www.ctie.monash.edu.au

On la reverra un jour?

Oui, je suis en train de préparer quelque chose à ce sujet, je le récupère.
J'ai ensuite développé autres choses comme productrice. J'ai monté une société comme je l'ai dit, pas pour moi, mais pour aider d'autres jeunes de la diaspora à s'exprimer. Le critère principal demeurant notamment la qualité. J'ai essayé de développer des projets en tant que productrice, et c'était pareil: ce n'était pas possible. Cela m'a découragée.
Puis j'ai découvert l'histoire d'une femme noire, qui s'appelait Bessie Coleman, qui était le premier citoyen américain à avoir une licence de pilotage: aucun homme ne l'avait obtenue auparavant. Cette jeune fille qui travaillait dans des champs de coton avait le virus du pilotage. Elle va travailler comme lessivière chez des blancs au Texas, puis se diriger vers Chicago pour prendre des cours de manucure. Elle travaillera dans le salon le plus célèbre où allaient des gens comme Louis Armstrong par exemple, et elle rencontrera un avocat ayant créé un journal, le Chicago Descender qui existe encore, qui avait voyagé en Europe et avait entendu parler des frères Codron qui avaient une école internationale de pilotage. Toutes les écoles américaines refusaient de lui donner accès aux cours parce qu'elle était femme, et surtout noire. Elle écrit donc à René Codron qui accepte et lui donne les tarifs.
Elle travaille comme manucure le jour, prend des cours de français le soir, et aide sa soeur qu'elle a fait venir du Texas avec qui elle fait du chili avec lequel elles gagnaient très bien leur vie.
Elle prend le train pour aller à New-York, et embarque pour la France où elle arrive en Picardie en 1920, où elle passera un an, et elle sera la toute première personne aux Etats-Unis à obtenir la fameuse licence de l'aéro-club de France qu'on ne donnait pas à n'importe qui.
Elle décide de rentrer aux Etats-Unis et de créer une école, et ce fut l'horreur, avec le Klu Klux Klan, le racisme, nous étions en 1920 ne l'oublions pas. C'était une pionnière parce que les noirs américains ont eu le droit de vote, les droits dans les années 60.

Bessie Coleman
©http://www.ctie.monash.edu.au
   
J'ai découvert l'histoire de cette femme qui m'a bouleversée, et si je n'avais pas vu les photos je ne l'aurais pas cru! J'ai donc retrouvé les photos, je suis même allée sur sa tombe, et cette femme aimait la France! Même ses vêtements de pilotage, son pantalon, tout était français. En plus c'était le portrait de Halle Berry, mais en plus foncée.
Du coup je lui consacre un scénario. Les studios sautaient dessus: il y avait Paris, l'amour, énormément d'humour. Ils me disent tous oui quand ils découvrent cette histoire. Mais, est-ce qu'il y a une possibilité de créer un personnage blanc pour "valider" mon héroïne?

J'ai dit non aux trois studios qui m'ont fait ces propositions. L'histoire dormira dans un tiroir jusqu'à ce que j'aie l'argent, et je ferai ce film. Je ne falsifierai pas l'histoire. C'est l'histoire de Bessie Coleman, et ce sera comme ça ou pas du tout.

Après ça, j'ai accepté de faire un film pour Disney et le dernier pour la Paramount, le Killing Yard, ce sont deux histoires vraies.

En ce moment j'ai un tas de projets pour "rattraper le temps perdu", sur les histoires "trop black" pour les studios.

On me conseille de revenir de France parce que les mentalités ont évolué, je reviens, et on verra.
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