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Livre : "la grève des des bàttu" d'Aminata Sow Fall
Retour sur un livre devenu un classique de la littérature africaine
 20/02/2007 Par Yanne CK (iphri.net)
 
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L'Homme-jettable, ce nouveau concept

C’est fantastique, si tu sais qu’il y a eu des moments oú la nuit elle mettait sur le feu (quelques brindilles ramassées) une marmite, et dans cette marmite, il n’y avait que de l’eau. Les enfants attendaient. “Le manioc est bien dur aujourd’hui, il va bientôt se ramollir.” Et les enfants espéraient; elle leur racontait des histoires et leur chantait les douces mélopées qui jadis exaltaient les lutteurs dans les arènes. Enfin, ils dormaient. Seul le plus âgé, Birama, savait que la marmite ne contenait que de l’eau.


Aminata Sow Fall
©oozebap.org
   
Un bàttu est une petite écuelle, un petit récipient que tend un mendiant pour recevoir les piécettes des miséricordieux. Pour des milliers d’hommes et de femmes réduits à l’infirmité, le bàttu est la seule source de revenu. Mais à Dakar, ces mendiants commencent à proliférer comme des bêtes malfaisantes. Ils harcèlent les passants, ils empuantissent la ville de leurs miasmes, ils dénaturent le panorama idyllique de la cité. Mais surtout, beaucoup plus grave, ils effraient les touristes: inacceptable. Ç’en est trop.

Le gouvernement tape du poing sur la table et prend sa décision: il faut effectuer un “désencombrement humain”. C’est à dire chasser tous ces manants, expulser tous ces gueux vers la périphérie pour que les bien-vivants puissent bien-vivre en toute quiétude, en toute tranquilité. Mour Ndiaye et son assistant Kéba Dabo ont donc la lourde tâche de superviser l’évacuation des “déchets humains”. Ils y mettent du coeur, pour différentes raisons: le premier par ambition politique, le second par conviction. Sous les injonctions de la hiérarchie, la police harcèle les mendiants, les brutalise, les humilie, et les déporte. Mais ils reviennent, rien ne semble y faire. Mais…

Mais les mendiants sont aussi des hommes. Ils ont aussi de l’amour-propre, de la fierté. Puisqu’on veut les chasser, eh bien ils vont s’en aller: c’est la grève. Une grève des mendiants.

Car les mendiants savent que même s’ils s’ils ne sont que les rebuts de la société, ils ont aussi leur utilité: déjà, l’Islam, religion majoritaire des Dakarois, astreint les croyants à la zakat, c’est à dire à faire l’aumône; mais aussi, les marabouts traditionnels prescrivent très régulièrement à ceux qui viennent les voir des aumônes spécifiques pour se prémunir du malheur et se garantir le succès, la santé, et d’autres choses encores. Les “déchets humains” auront-ils finalement gain de cause ?

La grève des bàttu est donc d’abord un livre qui traite d’un problème de société fondamental, la place faite aux plus nécessiteux dans la société africaine contemporaine. Balayer la poussière sous le tapis est une pratique canonisée sur le continent: au lieu de se pencher sur les causes génératrices de la mendicité, on assiste plutôt ici à la stigmatisation, puis à la déshumanisation de l’individu, qui finit d’ailleurs par avoir l’effet contraire: convaincre les mendiants de leur humanité.
   

Mais Aminata Sow Fall campe aussi d’autres problématiques particulièrement intéressantes, telles que les dérives du système maraboutique, la polygamie, et la corruption dans l’administration. Globalement, à travers le récit, elle éclaire certains travers intrinsèques de la société africaine comme les systèmes de castes, ainsi que les conséquences néfastes que peut avoir ce biais qui devient peu à peu le standard en Afrique, et qui consiste à placer le matériel avant l’Homme.

Preselectionné en 1979 pour le prestigieux Prix Goncourt, La grève des bàttu est aujourd’hui un classique de la littérature africaine, l’oeuvre la plus importante d’une des femmes les plus respectées dans le monde des lettres africaines. Une très belle page sur la dignité et la condition humaine dans l’Afrique d’aujourd’hui.



Citation

Je ne peux pas renier ma propre identité. Dire que je suis sénégalaise ne me dispense pas d’être universelle. Parce que l’universel commence au fond de soi-même. Tout universel part d’un endroit précis. La Grève des bàttu a été traduit en chinois. Je ne suis pas étonnée que des Chinois, des êtres humains ou qu’ils se trouvent, prennent un livre qui est à 10 000 lieues de leur préoccupation, et s’y retrouvent. Toute oeuvre littéraire, artistique a une vision d’éternité.


Aminata Sow Fall

La grève des bàttu
Auteur: Aminata Sow Fall
Première édition: 1979
Prix littéraires: Grand prix littéraire de l'Afrique Noire 1980

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