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Zoureha Issa, architecte à Paris
Le parcours de la semaine est une jeune architecte qui travaille en agence après avoir travaillé dans un bureau d'études et en libéral dans l'est de la France
 28/09/2010 Par Paul Yange
 
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Zouréha Issa
   
Bonjour Zouréha. Peut-on savoir où vous avez grandi et effectué vos études primaires ?

Zouréha Issa, 33 ans. Je suis née à Strasbourg de parents togolais.

J’ai grandi à Strasbourg où j’ai fait mes études primaires.

Puis mes parents ont été mutés, toujours dans l’est de la France, du côté de Metz en Lorraine. Donc j’ai effectué mes études secondaires en Lorraine où j’ai obtenu un baccalauréat littéraire.

La mission d'un architecte va bien au delà du dessin des plans
Zouréha Issa


Après l’obtention de votre baccalauréat, vous vous lancez dans des études d’architecture. Pourquoi ?

J'ai toujours dessiné et je souhaitais m’orienter vers deux voies : les beaux arts ou l’architecture. J’ai tenté les concours dans les deux voies, en art-déco/beaux arts et en architecture. Au final j’ai eu les beaux-arts et architecture. J’ai choisi l’architecture car on m’a fait comprendre qu’il n’y avait pas beaucoup de débouchés dans les carrières d’artistes.

J’étais particulièrement intéressée par le design. Or en tant qu’architecte, on fait également du design, donc je me suis dit que je faisais d’une pierre deux coups en optant pour l’architecture.
   

Conception d'un immeuble de 38 logements pour l'OPHLM de Gennevilliers

Pouvez-vous nous expliquer comment les études dans cette branche sont organisées ?

Elles sont organisées sur six ans. A l’époque (les études d’architecture ont été réformées depuis) c’était organisé en deux cycles : Defa (Diplôme d’études fondamentales en architecture sur deux ans), puis le cycle pour obtenir le diplôme d’architecte DPLG qui signifie « diplômé par le gouvernement ». Il permet de travailler en tant qu’architecte libéral, donc de signer des plans, obtenir des permis de construire, et au final de prendre les responsabilités qui incombent à un architecte. Ce deuxième cycle se déroulait sur quatre ans.

Aujourd’hui l’organisation des études d’architecture ont été réformées. Mais au sortir de l’école, on a un diplôme qui s’appelle D.E (diplômé d’Etat) avec lequel on peut travailler en tant qu’architecte salarié. Mais on ne peut pas signer, c'est-à-dire travailler en tant qu’architecte libéral avec le D.E. Pour être libéral, il faut maintenant un diplôme supplémentaire sur un an, le « HMONP » (Habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre). C’est une année en plus au cours de laquelle on fait un stage chez un architecte. On travaille sur un projet que l’on réalise et on soutient une thèse.

Cependant beaucoup d’étudiants de ma génération travaillaient (tout comme je l’ai fait), en parallèle de leurs études, dans des agences d’architectes. Cela nous permettait d’avoir un pied dans le métier avant de sortir de l’école.

En tant qu’architecte, vous êtes considéré comme "chef" sur le chantier (...) C’est souvent le début qui est difficile sur le chantier car il faut affirmer son autorité (...) quand les personnes présentes voient qu’elles ont en face d’eux quelqu’un de professionnel, ça se passe bien
Zouréha Issa


Vue intérieure de l'immeuble de Genevilliers
   
Vous obtenez le diplôme d’architecte DPLG en 2002 à l’école d’architecture de Nancy et vous êtes aujourd’hui architecte DPLG à l’agence Cenci et Jacquot Architectes. Peut-on savoir comment vous êtes arrivée à ce poste ?

Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai d’abord travaillé en bureau d’études. C’était une entreprise qui faisait de la conception /réalisation, et qui avait des dessinateurs en interne, architectes de formation. A partir de 170 mètres carré, c’est un architecte qui doit signer. A ce niveau, un bureau d’études ne peut pas avoir l’habilitation. Donc nous faisions surtout de l’architecture intérieure pour les banques, les magasins. J’ai commencé dans l’architecture intérieure et pas dans le bâtiment global. J’ai été dessinatrice pendant trois ans.

Être architecte demande de la capacité à convaincre, et à endosser énormément de responsabilités (un architecte est responsable de sa construction pendant 10 ans)
Zouréha Issa


En parallèle j’ai commencé une activité en libéral, en travaillant sur des extensions de maison, agencement de restaurants. J’ai réalisé plusieurs restaurants. Suite à ça, j’ai basculé en libéral pendant deux années et demie où j’ai travaillé pour des particuliers, à Strasbourg. C’est là que j’ai réalisé mes premières maisons toute seule. A postériori c’était un peu inconscient mais j’ai beaucoup appris.

« Inconscient » cela signifie qu’habituellement ce n’est pas comme ça que cela se fait ?

On peut se lancer comme architecte libéral à la sortie de l’école, ça dépend du caractère de la personne. Mais je trouve qu’il y a énormément de choses à apprendre avant de se lancer, seul, sans personne pour nous guider ou nous encadrer. Dans le métier on est considéré comme « jeune architecte » qu’à partir de 40 ans. Ce qui veut bien dire qu’avant cet âge on considère que vous n’avez pas encore la maturité professionnelle. Cependant, aujourd’hui on voit émerger beaucoup de « jeunes architectes » qui ont la trentaine comme Aldric Beckmann et Françoise N’Thépé de l’agence Beckmann-N’Thépé ou LAN Architecture par exemple.
   

Immeuble de Genevilliers

Vous êtes aujourd’hui chef de projet. En quoi consistent les responsabilités d’un chef de projet ?

La mission de l’architecte va au-delà du dessin des plans.
Le chef de projet gère un dossier d’étude sur un bâtiment dans sa globalité, de la première esquisse jusqu’à la construction, c’est-à-dire la remise des clés au client. Il y a ensuite un suivi sur un an pour la garantie de parfait achèvement. J’étudie la faisabilité d’une opération, en commençant par déterminer quel type de bâtiment on peut construire sur un terrain donné, je détermine la surface, la hauteur, le type de matériaux, les orientations à privilégier...Je participe à des réunions avec les mairies pour valider la conformité au règlement d’urbanisme. Je vais également aux réunions avec les clients pour voir leurs objectifs.

Travailler sur un projet sur le continent africain me plairait beaucoup d'autant que j'ai déjà travaillé sur un projet d'urbanisme à Lomé
Zouréha Issa


Je fais un suivi entre les différents interlocuteurs jusqu’au permis de construire. Il y a un échange avec l’administration et les clients. Dès que le projet est validé au niveau du permis de construire, il y a ce qu’on appelle la phase « marché » puis la phase « chantier ». Le client aussi bien que nous pouvons contacter des entreprises du bâtiment pour étudier les prix, pour qu’elles fassent une proposition globale pour la réalisation du projet. C’est la phase où on rentre en contact avec les entrepreneurs.

Maison réalisée à Dahlenheim dans le 67 (Bas-Rhin)
   
Il y a également des phases de dessin, de description écrite du bâtiment. On réalise un classeur où on décrit tous les ouvrages à réaliser pour construire le bâtiment avec un carnet de dessins de détails en plus des plans. C’est là qu’on va travailler en parallèle avec les ingénieurs, qui font les calculs de structure, les calculs thermiques qui vont nous guider car il y a aujourd’hui de plus en plus d’exigence en matière d’environnement pour réaliser des bâtiments basse consommation. Il y a plus de technologie qui rentre en jeu. On utilise l’énergie solaire, la géothermie, il faudra de plus en plus concevoir des bâtiments qui consomment le moins d’énergie possible.

Aujourd’hui on voit émerger beaucoup de "jeunes architectes" qui ont la trentaine
Zouréha Issa


Puis vient la phase « chantier » où je fais un suivi semaine par semaine, sur le terrain, avec un pilote de coordination (c’est une personne qui va organiser et gérer le planning d’intervention des entreprises sur le chantier).

Pouvez-vous nous donner des exemples de projets sur lesquels vous avez travaillé ?

J’ai travaillé sur des maisons, des villas, des restaurants, des magasins, des petits bâtiments industriels (centre de contrôle technique, garage…), des bâtiments de logement qui sont, aujourd’hui, ma spécialité à l’agence Cenci et Jacquot. Dans le métier, selon la gamme de projets il y a des spécialités. Mais travailler sur de grands projets à l’international n’est pas à la portée de tous les architectes, un jour peut-être...Pour l’instant, réaliser des bâtiments dans l’habitat privé et plus particulièrement l’habitat social me convient.
   

Création de vitrine pour le restaurant WOK Thaï La Krutenau (Strasbourg-67)

Quelle est la différence entre un projet en agence et un projet que vous effectuez pour un particulier ?

Il y a une grande différence entre le travail que je fais à l’agence pour des promoteurs privés et le travail que je fais en libéral pour des particuliers. On est très proche du particulier car une maison est souvent le projet d’une vie. Ce sont des rendez-vous le soir, en famille. Ils sont très demandeurs et il faut être très présent.

Tandis que lorsqu’on travaille pour un maître d’ouvrage professionnel on a des personnes en face de nous qui sont formées pour travailler dans le domaine du bâtiment, elles ont un peu plus de détachement et nous donnent toute la responsabilité du côté architectural, de l’esthétisme, de la gestion des règles d’urbanisme de sécurité et d’accessibilité aux personnes handicapées. Ils savent qu’ils ont en face d’eux un professionnel qui gère tous ces aspects.

Travailler en libéral pour des particuliers implique d'être très proche d'eux car une maison est souvent le projet d’une vie
Zouréha Issa


Avec un particulier, il faut vraiment être beaucoup plus présent, car leurs inquiétudes sont énormes, et c’est normal, « construire » c’est toute une « aventure », on ne s’y lance pas les yeux fermés. Ils attendent beaucoup d’accompagnement, car jusqu’à la construction on a du mal à imaginer ce qui va être réalisé, il faut faire des choix importants et on y engage une grosse somme. Il faut comprendre leurs besoins, leurs goûts et adapter parfaitement le projet à leur budget. C’est une philosophie totalement différente.

Séjour en double hauteur réalisé dans la maison de Dahlenheim
   
Avez-vous déjà rencontré des difficultés du fait que vous êtes une femme architecte et une femme noire ?

Être une femme architecte est déjà très difficile car le milieu du bâtiment est un milieu assez macho. Il peut y avoir du racisme, mais il ne faut pas se focaliser dessus. En tant qu’architecte, vous êtes considéré comme le « chef » sur le chantier. Quand vous êtes une femme et que vous arrivez, on vous demande si vous avez le droit d’entrer sur le terrain alors que c’est vous qui allez animer la réunion.

Être une femme architecte est déjà très difficile car le milieu du bâtiment est un milieu assez macho
Zouréha Issa


Il y a beaucoup de préjugés, il faut travailler 4 fois plus, et lorsque l’erreur arrive, on vous mets 4 fois plus vite par terre. C’est souvent le début qui est difficile sur le chantier car il ne faut pas perdre son autorité. Il faut s’accorder avec tous les corps de métier et vous êtes la personne qui fait le lien entre tous. Pour ma part, j’essaie d’être juste et quand les personnes présentes voient qu’elles ont en face d’eux quelqu’un de professionnel, ça se passe bien.

Y a-t-il beaucoup de femmes dans le monde de l’architecture ?

Dans ma promotion, il y avait par exemple 50% d’hommes et 50% de femmes. Mais dans la profession au final, la dominante reste fortement masculine. C’est toujours surprenant de voir arriver une femme architecte.
   

Piscine en sous sol conçue dans la maison de Dahlenheim

Vous avez grandi dans l’est de la France. Envisagez-vous tout de même travailler un jour sur le continent africain, au Togo, le pays de vos parents, ou dans d’autres pays du continent ?

J’aimerais énormément. D’autant que j’ai travaillé sur un projet d’urbanisme à Lomé, la capitale du Togo à l’occasion de l’obtention de mon diplôme de fin d’études. Ayant fait plusieurs voyages au Togo, je pense qu’il y a beaucoup de choses à développer. Donc si j’en ai l’occasion, oui ça me plairait.

Si vous aviez des conseils à donner à des plus jeunes voulant devenir architecte ?

Je leur dirais que c’est très dur, je ne vais pas mentir. C’est un métier qui me passionne et je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre. C’est un métier qui demande beaucoup de travail, qui génère beaucoup de stress, il faut avoir la capacité à convaincre, et à endosser énormément de responsabilités (un architecte est responsable de sa construction pendant 10 an). Bref c’est un métier qui n’est pas de tout repos.


   

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