"Les mannequins noirs ne font pas vendre."
Jourdan Dunn (à gauche) et Chanel Iman (à droite). ©www.metro.co.uk / chaneliman.blogspot.com |
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"Les mannequins noirs ne font pas vendre". C'est ainsi que de nombreux professionnels de la mode et du mannequinat justifient l'absence de mannequins issus de la diversité dans les magazines, les publicités, les défilés et les agences. Mais d'où vient réellement le blocage ? Des consommateurs - donc, par extension des citoyens - ou du microcosme de la mode ?
Franca Sozzani est, aux côtés d'Anna Wintour de Vogue US, l'un des grands noms de la presse consacrée à la mode. La rédactrice en chef du Vogue Italie a fait une annonce détonnante dans les colonnes du journal britannique The Independent : le numéro de juillet de son magazine sera exclusivement dédié aux mannequins noirs !
On sait que les séances photos ont d'ores et déjà été réalisées. C'est le grand photographe de mode américain, Steven Meisel, qui s'en est occupé. Les jeunes mannequins Jourdan Dunn et Chanel Iman sont préssenties pour être de la partie. "Nous faisons appel à de nombreux mannequins noirs, comme Iman, pas seulement aux mannequins de maintenant, il y aura tout un tas de filles différentes," a déclaré Mme Sozzani, 52 ans.
Quand The Independent lui a demandé pourquoi un tel numéro, elle a ainsi répondu : "Parce que personne n'utilise les filles noires. Je vois tellement de belles filles qui se plaignent de ne pas travailler assez." Franca Sozzani concède toutefois que le numéro risque d'être mal reçu par certains Italiens. C'est tout de même dans ce pays que la Lega Norte (xénophobes) fait désormais partie de la coalition conduite par Silvio Berlusconi. "Peut-être que ce n'était pas la meilleure idée que de le sortir dans notre pays... mais je m'en fiche. Je pense que ce n'est pas mon problème si cela ne leur plaît pas, c'est le leur !".
Naomi Campbell, figure incontournable du mannequinat, a toujours ouvertement dénoncé le racisme prévalent dans le milieu aseptisé de la mode. Plus récemment, la jeune sensation, Jourdan Dunn, tout juste âgée de 17 ans a déclaré : "Londres n'est pas une ville "blanche" alors comment cela se fait que tous les castings soient "blancs" ? Je me rends à des castings et j'y croise plusieurs filles noires et asiatiques mais quand vient le jour du défilé et que je jette un coup d'oeil autour de moi, je suis la seule noire, il y a parfois un autre mannequin de couleur. Les autres n'ont pas été choisies. J'espère vraiment que le créateur a estimé que les autres n'étaient pas assez bonnes en tant que mannequin, enfin je ne sais pas..."
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Franca Sozzani, rédactrice en chef de Vogue Italie ©www.la7.it |
En France, les mannequins asiatiques et maghrébins sont les compagnons d'infortune de leurs consoeurs noires. Cela dit, ces dernières parviennent à travailler un peu plus que les autres. Les mannequins de type caucasien, de préférence blonde, à la peau et aux yeux clairs sont monnaie courante dans le mannequinat. L'image renvoyée par la mode est bien loin de refléter la société multiethnique qu'est devenue la France.
Le magazine français Marie Claire s'était penché sur le sujet, dans son numéro d'octobre 2007, avec un dossier de sept pages intitulé "La mode est-elle raciste ?". Une directrice de casting, un directeur artistique de publicité, la directrice du booking de Marie Claire, un psychanalyste, un mannequin d'origine sénégalaise et un mannequin d'origine marocaine avaient été intérrogés par la journaliste Sophie Pasquet. Cette dernière avait admis que son propre magazine n'avait mis qu'un seul mannequin noir en couverture, Naomi Campbell, une dizaine d'années auparavant. L'expérience n'avait pas été réitérée suite aux ventes décevantes de ce numéro. Les conclusions que l'on pouvait tirer de ce dossier inédit étaient à peu près les suivantes : agences multiethniques peu répandues en France, incompatibilité de la physionomie des mannequins noirs avec les coupes des vêtements et des critères de beauté occidentaux (nez, fesses, peau, cheveux, etc.), difficulté des lectrices/consommatrices à s'identifier à des mannequins de couleurs et la frilosité des annonceurs/clients.
La mode et le mannequinat réussiront-ils à être plus représentatifs de la diversité du monde ? Difficile d'y croire surtout quand on voit que les créateurs et les agences rechignent à prendre des mesures concrètes ou alors insignifiantes, même pour lutter contre un fléau - parfois mortel - comme l'anorexie !
L'initiative de Franca Sozzani fera t-elle des émules dans la presse spécialisée mode ? Ce numéro au concept inédit n'est-il tout simplement pas un gros coup marketing ? L'idée de faire un numéro 100 % mannequins noirs est-elle pertinente ? Ne vaudrait-il pas mieux favoriser la présence, même minime mais régulière, des mannequins noirs dans les pages des magazines ? Certaines de ces questions trouveront leurs réponses dans les semaines ou les mois à venir...
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