Rencontre avec Audrey Pulvar, la nouvelle co-présentatrice du Soir 3
Peu de temps après l'annonce de la décision de la chaîne, la journaliste a reçu la rédaction de Grioo.com pour revenir sur son "parcours"
Par Hervé Mbouguen
  


Audrey Pulvar
©Sylvain Legrand / France Télévisions

Pouvez-vous vous présenter à nos internautes ?

J’ai 32 ans, je m’appelle Audrey Pulvar, je suis la troisième fille de Marc Pulvar : nous sommes trois sœurs, et un plus jeune frère. J’ai un petite fille de 7 ans, et je vis à Paris avec elle, depuis 2 ans.
Je suis née en Martinique, où j’ai grandi avec ma famille jusqu’à l’âge de 14 ans. A 14 ans je suis venue à Paris où j’habitais chez une de mes tantes, avant d’aller habiter avec mes sœurs qui étaient étudiantes, en banlieue. J’ai terminé le collège et commencé le lycée en France, même si j’ai finalement passé mon bac en Martinique, puis je suis revenue en France à Rouen où j’ai eu un DEUG de Sciences Eco. Je suis ensuite revenue à Paris, pour faire mon école de journalisme.
Mes loisirs ? J’aime les musées, les belles ballades, le théâtre, le cinéma. Je lis beaucoup, un peu moins maintenant, et j’ai toujours eu envie d’écrire. Puis j’ai rencontré des gens qui m’ont donné confiance en moi, comme Patrick Chamoiseau. Alors, en Février 2000, j’ai commencé à écrire mon premier roman, publié en Janvier 2004. Un deuxième roman est en route.

Compte tenu des polémiques nées sur certains sites, dont le notre, concernant votre « négritude », comment vous définissez-vous ?

Comme je l’ai répondu à tous les journalistes qui me demandent s’il est important pour moi d’être la première femme Noire à présenter un grand journal, je sais qui je suis, je sais d’où je viens. Je suis une femme Noire, Créole Caribéenne, Martiniquaise.
Je tombe des nues quand je découvre qu’on conteste le fait que je sois Noire : c’est pour moi une évidence, je suis une femme Noire, une femme de race Noire, même si je ne suis pas très foncée de peau. Mon père, qui est un chaben, donc clair de peau, est un homme Noir, et je mets au défi quiconque de lui démontrer le contraire…Allez donc dire à Marc Pulvar qu’il n’est pas un homme Noir et vous entendrez parler du pays ! Oui, je suis une femme Noire et n’en déplaise à ceux qui ne me trouvent pas assez noire, on peut être Noire sans être Africaine. Du sang africain coule dans mes veines, je ne l’oublie jamais. Je suis une créole caribéenne Noire.


Audrey Pulvar à LCI
©http://jfkaps.free.fr

Qu’est-ce qui vous a poussée à devenir une journaliste ?

Etant donné l’activité de mon père (syndicaliste martiniquais et indépendantiste), toute ma petite enfance a été bercée par un rapport très fort à l’actualité et à ce qui se passait dans le monde. La maison était remplie de journaux et de livres. Mon père avait une radio sur laquelle on écoutait en AM la radio de Moscou et d’autres radios du monde entier, dont des pays d’Afrique. Et je ne compte pas les heures de discussions politiques entre adultes de mon entourage, que j’entendais d’une oreille inattentive à l’époque… Je pense que tout cela a réellement éveillé ma curiosité par rapport au monde.
C’est resté un peu en sommeil et vers 10-12 ans j’ai commencé à vraiment me passionner pour l’information, sans pour autant avoir l’idée de devenir journaliste.
Cette envie est apparue vers l’âge de 17-18 ans. C’est à ce moment que j’ai voulu devenir journaliste…Et j’emploie bien le terme de « journaliste » et non pas « présentatrice » qui n’est qu’un aspect de mon métier.
Je rappelle que j’ai commencé par faire des reportages de terrain avant de faire de la présentation, et s’il est vrai que depuis 6-7 ans je ne fais que de la présentation, j’aimerais pouvoir refaire du terrain, puis plus tard de la radio ou de la presse écrite.
L’objectif étant pour moi de faire mon métier de journaliste de différentes façons, en ayant toujours la sensation d’avoir de nouveaux challenges à relever…des choses à apprendre.


L'enfant-bois, le premier roman d'Audrey Pulvar
©Amazon

Comment une journaliste aussi souriante que vous en arrive à écrire un livre unanimement décrit comme « noir » où on voit une jeune fille battre à mort puis pendre son frère avant de prendre l’exil de l’Antilles vers l’Angleterre ?

Eh bien, parce que l’image lisse d’une présentatrice pomponnée annonçant gravement les nouvelles du monde, ce n’est qu’une image, justement…Ce n’est pas moi. Comme je le disais tout à l’heure, la présentation d’un JT n’est qu’un aspect de mon métier de journaliste…Je pourrais ajouter que le journalisme n’est qu’un aspect de ma vie !
Mon travail d’écrivain –même si je ne me considère pas encore tout à fait comme un écrivain, n’ayant écrit qu’un roman- est quelque chose de complètement dissocié de mon activité professionnelle… C’est autre chose. Une autre partie de moi. Une façon d’exprimer mes interrogations sur le monde qui m’entoure et ma place de Créole Caribéenne dans ce monde.

L’Enfant-Bois raconte, en surface, l’histoire d’une jeune trentenaire vivant à Londres, qui a quitté la Martinique à l’âge de 11 ans et qui y retourne vingt ans plus tard pour les obsèques de sa grand-mère. Le voyage de retour sera l’occasion pour le lecteur de comprendre pourquoi Eva a quitté son île et comptait ne plus jamais y remettre les pieds…Elle est, entre autre, poursuivie par un vide sidérant qui menace sans cesse de la happer : celui du « désamour » de sa mère.
Mais au delà de cette trame, ce sont les tourments de la créolité, tels que beaucoup de caribéens, je pense, les vivent aujourd’hui, que j’interroge. Des tourments qui font de nous (certains d’entre nous, en tout cas) de perpétuels exilés, hors le monde même quand nous sommes dans nos îles…

Qui sommes-nous, peuples de la Caraïbe issus d’une histoire tellement remplie de tragédie ?
Audrey Pulvar
Qui sommes-nous, peuples de la Caraïbe issus d’une histoire tellement remplie de tragédie ? Et je n’évoque pas là uniquement l’Abomination de l’esclavage…Je ne suis pas la première à me questionner sur les tourments de peuples situés, géographiquement et historiquement au cœur d’un maëlstrom de civilisations (africaine, française, nord-américaine, sud-américaine, caraïbe, espagnole, indienne…).
Dès lors, comment se définir (et toute la polémique aperçue sur votre site à propos d’antillais pas assez noirs etc…montre bien qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir) ?
Ce « tourment » de la créolité ne concerne d’ailleurs pas que les peuples de la Caraïbe, et c’est pour ça que « créolité » pour moi, ça ne se réduit pas à « langue créole »…
Ce tourment que nous emportons partout avec nous et qui fait de certains d’entre nous, dont je fais partie, des exilés dans tout endroit du monde, il est aussi valable pour tout peuple archipélique, toute communauté autochtone devenue minoritaire dans son propre pays, dont le Passé est marqué par le sang des conquêtes (ou des croisades comme celles menées dans Les Amériques) et le viol colonialiste. Comme on ne peut pas vivre éternellement dans ce Passé tragique, il faut bien vivre le présent et imaginer l’avenir. Il faut bien admettre que ceux qui sont là aujourd’hui sont le fruit du sang versé. Le faire sans se renier, se redéfinir sans s’aliéner :voilà un défi ! Nos petits-enfants le remporteront peut-être.


Audrey Pulvar
©Sylvain Legrand / France Télévisions

Vous faites vos études de journalisme à l’ESJ, Ecole Supérieure de Journalisme de Paris. Pouvez-vous nous en parler ?

L’ESJ Paris est une école qui n’a pas, entre guillemets, une « bonne réputation » car l’école reine c’est l’ESJ Lille ou le CFJ (Centre de Formation des Journalistes) de Paris. Mais je ne crois pas avoir à rougir de la formation que j’ai reçue parce que nous avions pour intervenants des journalistes confirmés, comme Philippe Abitboul, que vous entendez encore sur France Inter… , Roland SICARD, grand reporter à France 2 : nos professeurs étaient des journalistes du Monde, de France Inter, France 2, RFI et TF1…

Vous seriez sortie major de votre promotion en 1994?

Je suis en effet sortie major de ma promotion en 1994. C’est une école qui délivre une formations en 3 ans. On y est admis sur concours, avec déjà un bagage de Bac+2.
Pendant que j’étais à l’ESJ je travaillais en presse écrite professionnelle pour un magazine qui s’appelle « Expo News », et j’ai fait des stages dans différentes rédactions.

Vous entrez ensuite à ATV, la chaîne antillaise ?

Je suis rentrée à ATV en Juillet 1994, alors que je venais de terminer l’ESJ Paris, pour un stage qui devait durer 3 mois, pour valider ma formation. Je suis finalement restée 8 ans.
J’ai commencé comme JRI (Journaliste Reporter d’Images) : je partais sur le terrain, je filmais. J’étais à la fois rédactrice et camérawoman. Assez vite on m’a confié, à l’antenne, des journaux en créole, mais je continuais à faire du terrain.
En Mai 1995 on m’a confié le Grand Journal du Soir que je faisais du Lundi au Vendredi une semaine sur deux. La semaine où je ne faisais pas le journal je faisais du terrain. Cela a duré pendant deux ans jusqu’en 1997 où on m’a proposé le poste de Rédactrice en Chef Adjointe, là je faisais de l’encadrement et je présentais les journaux du week-end, j’ai donc arrêté à ce moment-là de faire du terrain.
En 1999 j’ai été nommée Rédactrice en Chef et je présentais les journaux de la semaine, c’était toujours le Grand Journal du Soir mais dans une formule différente. Pendant 4 ans de 1999 à 2002 j’ai présenté ce journal, du lundi au vendredi. C’était une édition de 50 minutes, tous les soirs, avec de l’information locale, régionale et des sujets d’information nationale/internationale (fournis par TF1).


Audrey Pulvar
©Sylvain Legrand / France Télévisions

Qu’est-ce qui vous pousse alors à quitter ce statut doré pour aller à Paris, dans un statut précaire, en vivant de « piges » au début ?

Cela faisait 8 ans que j’étais à ATV alors que j’étais venue pour 3 mois au départ ! Et puis je n’ai jamais imaginé de faire ma vie professionnelle dans la même société, ni dans le même média. Au bout d’un moment j’ai décidé d’aller voir ailleurs si j’y étais.
J’avais fait beaucoup de choses à ATV puisque j’avais aussi fait des magazines, des soirées électorales, des débats etc…et j’avais envie de me remettre en question, de me mettre en danger, de voir si j’étais capable de faire ma petite place dans un marché beaucoup plus dur et plus concurrentiel, le marché parisien.

Comment êtes-vous rentrée à LCI, France 3 et TV5 ?

A partir de 2000, je suis venue en France environ tous les deux ou trois mois, faisant chaque fois le tour de toutes les télés pour voir les opportunités en reportage ou en antenne. J’ai passé deux ans à venir voir les gens régulièrement (rédacteurs en Chef, patrons de télé), me faire connaître, faire des tests, mais il n’y avait pas de place, et il y avait aussi à l’époque un barrage du fait de la couleur de peau. C’était le moment où les choses commençaient à bouger, les collectifs à s’organiser…Puis la persévérance a fini par payer puisqu’en Avril 2002, Jean-Claude Dassier directeur général de LCI m’a dit avoir une opportunité pour moi.

J’ai commencé en Juin 2002 à LCI comme pigiste, « joker » dans le jargon. Ca marchait bien, on m’appelait plutôt régulièrement, mais j’avais envie de connaître un peu mieux ce marché parisien.


Audrey Pulvar et Franck Laforge
©S. Legrand/France Télévisions

J’ai donc tenté ma chance à TV5 et commencé à travailler avec eux en Décembre 2002, tout en continuant à travailler à LCI.
Jusqu’en Juin 2004 j’ai travaillé assez régulièrement avec LCI et TV5 à la fois, mais j’avais pour objectif de travailler sur le national à France 3.

De 2002 à 2004, tous les deux ou trois mois j’allais voir les rédacteurs en chef, responsables de services de France 3…c’était quasiment du harcèlement (rires), pour leur dire que j’existais et leur montrer ce que je faisais à LCI/TV5. Il n’y avait pas d’opportunité pour moi mais je persistais…Finalement, j’ai réussi à rencontrer Rémy Pflimlin le directeur général de France 3 en novembre 2003, et là, ça a été décisif…Il m’a d’abord proposé des remplacements à France 3 Marseille, me disant que ce serait une forme de test pour moi, et que si ça marchait bien à Marseille, je pourrais être joker sur le journal National…mais il n’avait pas encore parlé d’intégration à la rédaction nationale…

Comment êtes-vous passée au Soir 3 ?

Après Marseille, où les choses se sont effectivement bien passées, du point de vue du rendu antenne, Ulysse GOSSET, le directeur de la Rédaction Nationale m’a proposé de faire des remplacements sur le journal national, d’abord le Soir 3 en Juillet, puis les journaux du week-end, en août…Et alors, tout s’est enclenché …j’ai été embauchée pour présenter le SOIR 3 en duo avec Louis LAFORGE, à partir du 6 septembre.


Audrey Pulvar à LCI
©http://jfkaps01.free.fr

Quel bilan tirez-vous de cette expérience, et quels sont vos objectifs pour la rentrée et votre nouveau poste ?

Je crois que les audiences ont été bonnes cet été, et on a même fait un soir le deuxième meilleur score de Soir 3 depuis le début de l’année. Il n’y a pas trop d’inquiétude à ce sujet.
Mon objectif est de bien faire mon boulot, d’être à la hauteur, et de continuer à m’améliorer.
J’espère dans un avenir pas trop lointain recommencer à faire du terrain.

Un dernier mot pour les grioonautes ?

Ce que je peux dire c’est que je ne me considère pas comme un symbole même si je sais que certaines personnes se sentent représentées à travers moi. J’en suis très flattée et j’espère ne pas les décevoir.
Je voudrais ajouter que le seul moyen que j’ai trouvé pour réaliser mes objectifs, depuis le moment où j’ai commencé mes études de journalisme, c’est le travail. J’ai énormément travaillé pour en arriver là, et je le précise car certains s’imagine que je ne suis QU’UN alibi ethnique. Il faut bien se rendre compte que dans les médias, comme dans beaucoup d’autre secteurs d’activité, on NOUS demande en permanence de faire quatre fois plus nos preuves que les autres.


Audrey Pulvar
©Sylvain Legrand / France Télévisions

Je dis NOUS parce que j’ai beaucoup d’amis journalistes venant de plusieurs pays d’Afrique Noire et du Maghreb, mais aussi des copains journalistes venant de pays du Golfe Persique et bien sûr de la Caraïbe : on nous demande en permanence de faire nos preuves (quelqu’un comme Elizabeth Tchoungui, une très bonne journaliste que vous connaissez sans doute et qui est sur le marché parisien depuis bien plus longtemps que moi pourrait vous en parler !), et je vous assure que s’il suffisait d’être Noire pour présenter le Soir 3 ça se saurait !

Evidemment être une femme Noire compte dans le fait qu’on m’aie donné cette opportunité. Mais ce n’est qu’un critère. On pourrait dire une condition nécessaire mais pas suffisante ! Depuis mon retour à Paris en 2000, j’ai fait face à de très fortes pressions, et je le répète, on m’a demandé, comme à mes amis journalistes africains ou arabes, d’en faire 4 fois plus que les autres. Et bien vous savez quoi ? Nous le faisons, ce « 4 fois plus que les autres »…Nous le faisons, et la réussite par le travail, ça existe. C’est ce que mes parents m’ont appris, je les en remercie, et pour l’instant , pour moi, ça a marché. J’ai travaillé, j’ai avancé. Je ne suis pas la seule, loin de là. Nous sommes très nombreux dans ce cas, les grioonautes le savent bien. Et pas seulement dans les médias. Plis fos !