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Interview de Fatou Diome, auteur de "Le Ventre de l'atlantique"
Grioo.com a interviewé Fatou Diome qui vient de publier son premier roman, "le ventre de l'atlantique". Rencontre avec un écrivain qui ne pratique pas la langue de bois
 25/11/2003 Par Hervé Mbouguen
 
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Fatou Diome, un écrivain qui monte
©jean-claude Dorme
   
Pouvez vous présenter à nos internautes ?

Bonjour à tout le monde. La présentation va être vite faite ! je suis sénégalaise et je vis en Alsace à Strasbourg depuis 1994. Le ventre de l’Atlantique est mon premier roman. C’est ma deuxième publication puisqu’il y a eu auparavant "la préférence nationale", un recueil de nouvelles paru aux éditions Présence Africaine.

Comment êtes vous venue à la littérature ?

Je ne suis pas venue à la littérature, c’est elle qui est venue à moi. J’ai commencé à écrire quand j’ai quitté mon village, j’avais treize ans. A cause du fait de devoir aller dans d’autres villes au Sénégal pour étudier j’étais souvent très seule, donc je lisais énormément et ça m’a donné envie d’écrire de petites histoires et c’est venu comme ça petit à petit. J’étais très jeune, j’ai commencé à écrire et je n’ai jamais arrêté depuis. Je ne savais pas forcément à quoi ça pouvait me mener.

Votre précédent livre "la préférence nationale" (au titre un peu provocateur) a connu un grand succès et vous a valu la reconnaissance de la communauté littéraire. Comment avez-vous digéré ce succès assez rapide ?

Il n’y a rien à digérér en fait. Quand la vie vous donne des claques, vous les prenez et vous faites avec. Quand vous avez un succès ou une reconnaissance, une fleur, il faut l’admettre de la même manière. Il s’agit de continuer à vivre sa vie. Ça se passe très bien du moment que j’arrive encore à écrire autant que j’en ai envie...
   

"Le ventre de l'atlantique", le nouveau livre de Fatou Diome

Dans votre premier livre, tout au long des aventures, il y a toujours une fille, étudiante en littérature. Quelle est la part d’autobiographie dans ce premier livre ?

Pour la "préférence nationale", je m’amuse un peu en disant que le livre est autobiographique à 90 % car il y a ensuite de l’imagination, de la créativité, une situation complexe sur laquelle on va greffer des choses, approfondir la réflexion. Mais on peut dire sans complexe que "la préférence nationale" est autobiographique. Et la petite fille grandit au fur et à mesure. Je voulais un peu casser la frontière entre le roman et la nouvelle. C’est pourquoi j’ai fait ce petit personnage qui grandissait au fur et à mesure des nouvelles. "La préférence nationale" peut se lire aussi comme un petit roman. D’ailleurs il y a des journalistes qui se sont trompés là-dessus et ça me fait plaisir.

Dans "la préférence nationale", on a l’impression qu’il y a beaucoup de racisme, mais que l’héroïne arrive toujours à gagner. Même quand elle se fait renvoyer, elle arrive quand même à donner une leçon aux racistes.

J’ai écrit ce livre en pensant aussi aux africains qui se disent qu’ils ont tout perdu parcequ’il y a du racisme ce qui est absolument faux. Dans n’importe quel domaine, quand vous continuez à lutter, quand vous faites vos preuves, même les racistes à un moment donné ne peuvent plus rien contre vous. Et c’est aussi quelque chose que je voulais partager avec des gens qui se retrouvent dans ma situation. Le racisme figure en toile de fond dans ce livre, mais il a trait plus globalement à la bêtise humaine. Les gens qui sont idiots perdent à tous les coups. J’ai voulu montrer par l’itinéraire de ce personnage, de cette jeune fille, que chacun était capable de renverser la vapeur. Il suffit d’être plus malin que les gens qui essayent de vous torturer.

Dans votre nouveau roman, "le ventre de l’atlantique", vous abordez notamment le thème de l’immigration, cher aux africains. Pourquoi ce thème et pouvez nous parler de votre livre ?

C’est un thème cher aux africains, mais chaque africain l’aborde à sa manière. Je savais bien que le thème en lui-même n’était pas original du tout, ce qui pouvait être original c’est la manière de le traiter, d’en parler. J’en avais un peu assez des clichés : l’immigration ce n’est pas que des pauvres gens exploités, ce n’est pas toujours ça. L’immigration c’est aussi des gens qui partent pour leur émancipation, qui partent au nom de leur liberté…qui partent pour des tas d’autres raisons que la société d’accueil ne perçoit pas forcément. Vous avez donc certes des gens qui partent pour des raison économiques, mais d’autres qui partent pour des raisons plus vivables. C’est le cas du personnage féminin dans ce roman.

Je voulais aussi parler des rapports qui existent entre les immigrés qui vivent en Europe et leurs familles restées au pays. On parle toujours des sans-papiers, mais on ne sait pas pourquoi ils sont partis. On ne sait pas ce qu’ils vivent quand ils reviennent sur place et je voulais dévoiler ces aspects là.
   
Qu’est ce qui a façonné votre style qu’on retrouve dans votre deuxième livre et votre façon de parler ?

La rue ! Je pense que les gens qui sont formatés parlent comme on attend qu’ils parlent. Moi je n’ai pas été formatée. Lorsque j’ai quitté mon village, j’ai eu en tout au moins trois familles d’accueil, j’étais responsable de moi même.Lorsque j’étais adolescente, je louais une chambre pour me débrouiller toute seule. Evidemment, lorsque vous vivez comme ça, vous êtes confrontée à la société brute, elle est sans fard et vous l’affrontez telle qu’elle est. Quand j’écris, j’essaye d’être sincère avec moi même, je me donne une liberté totale et je me fiche de ce qu’on va en penser après. Donc j’ecris vraiment parce que je le ressens comme ça et ça peut donner des choses inattendues, qu’une certaine politesse sociale ou une certaine langue de bois aurait pu interdire.

Un match de football, c’est quelque chose de banal, mais quand on voit les détails avec lesquels vous décrivez ça, on dirait presque qu’il ne s’agit pas d’un roman. C’est presqu’un film qu’on se projette en vous lisant. C’est aussi par rapport à l’origine de cet aspect de votre style qu'on s’interrogeait.

Je le prends comme un compliment car j’ai fait un peu d’études de cinéma et j’aime beaucoup les images. Peut-être que certains passages je les écris parce que je n’arrive pas à faire un tableau. Je m’intéresse aussi à la peinture, mais je ne sais pas peindre. Quand j’écris, je visualise aussi des choses dans ma tête que j’essaye de faire ressortir par le biais de l’écriture. Je pourrais presque vous dire que je sens l’odeur des villages ou des rues que je peux décrire. Je ressens cette odeur, je vois les couleurs.

La différence qu’il peut y avoir quand on lit c’est que j’aime bien aussi écrire au second degré, il y a une pointe ironique derrière, il y a le message flagrant et il y a le message caché derrière et c’est ma manière à moi de mettre une distanciation entre le personnage impliqué en chair et en os dans l’histoire et le personnage en tant qu’intellect. Pour être objectif, il faut être capable de prendre de la distance, sinon on ne peut pas être critique vis à vis de ce qui se passe en Afrique. Le côté communautariste ou ethnocentriste casserait la critique. Je suis obligée de prendre l’ironie et l’humour pour relativiser les choses.
   

La Préférence Nationale, recueil de nouvelles à succès de Fatou Diome
©amazon.fr

Y a t-il des écrivains particuliers qui vous ont influencée dans votre jeunesse ?

Je déteste cette question et tout le monde me la pose ! Je n’aime pas cette question car je suis une étudiante en lettres, en ce moment je fais ma thèse. Donc forcément, quand on fait une thèse de littérature, on a lu énormément d’écrivains. Et donc forcément parmi tous ces écrivains il y en a des dizaines qu’on aime beaucoup. Mais je vais me lancer et vous dire ce que j’ aime en littérature.

J’aime Stig Dagerman, il est suédois et c’est lui qui a écrit "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier". Pourquoi je l’apprécie ? parce que m’étant tellement "cassée la gueule" dans la vie, j’ai quand même eu le temps de voir que ce qu’il dit est vrai. J’aime beaucoup Senghor car vu la mélanine que je me traîne et vu que je suis sénégalaise, ce n’est pas possible autrement ! Il a ouvert le chemin de quelque chose. J’aime beaucoup Mariama Bâ parcequ’en tant qu’en tant que fille africaine, elle a mis des mots sur des chose que je sentais confusément quand j’étais petite. Elle a ouvert une voie elle aussi. J’aime beaucoup Marguerite Yourcenar car c’est une dame têtue qui a voulu forger son destin à sa manière et elle a continué jusqu’au bout. J’aime bien les gens entiers.

J’aime beaucoup Hemingway. Vous allez me dire pour son style. Eh bien non ! Tout simplement parce que quand je lis "le vieil homme et la mer", j’ai l’impression qu’il parle de mon grand-père qui était pêcheur et qui m’emmenait à la pêche. Il y a 50 000 raisons d’aimer des auteurs ! j’aime beaucoup Marivaux à cause de sa pointe d’ironie, de cette façon qu’il avait de regarder la société au 18ème siècle. Avec du recul, avec de l’humour, avec de l’ironie...En général ses personnages les plus idiots sont ceux qui disent le plus de vérité. J’aime beaucoup Voltaire car quand on lit Candide, on se rend compte que c’est absolument contemporain. Parmi nos frères en Afrique, il y a beaucoup de candides et il faut parfois le dire.

Comment analysez-vous la place des femmes dans la littérature africaine d’aujourd’hui ? Sont-elles bien représentées ou faudrait-il qu’il y ait plus de femmes dans la littérature africaine ?

C’est une question que se posent les femmes qui n’acceptent pas de prendre leur destin en main. Ce n’est pas les autres qui vont donner aux femmes une place. C’est aux femmes de la prendre. Je suis féministe modérée. Les féministes qui veulent chercher des battes de baseball pour tuer les mecs c’est pas mon truc ! Je trouve que quand une femme se fait respecter, elle n’a plus besoin de casser la tête à qui que ce soit. Il suffit qu’elle soit là pour qu’on la respecte tout de suite. Pour en revenir à la place des femmes dans la littérature africaine, jusqu’en 1975 déclarée année internationale de la femme par l’ONU il n’y avait pas d’écrivains femmes. C’est les hommes qui parlaient de nous. J’appele ça "la femme à la troisième personne".

Les écrivains hommes parlaient de nous, mais à la troisième personne. Ils faisaient leurs personnages en fonction des clichés qu’ils avaient et des critères qu’ils accordaient aux personnages féminins. En fonction de ce qu’ils voulaient faire incarner aux femmes et pas nécessairement ce que les femmes étaient réellement. A partir de ces années là, les femmes ont commencé par des autobiographies parcequ’elles avaient envie de hurler ce qu’elles avaient dans le ventre avant de regarder autour d’elles. Maintenant, elles regardent autour d’elles, sont capables de faire les mêmes analyses que les hommes ou même mieux. Elles sont capables de prendre la parole, il y en a de plus en plus, et je pense que c’est un bénéfice.

Mariama Bâ a "ouvert une voie" pour Fatou Diome
   
La littérature sénégalaise a l’air assez riche. Comment expliquez-vous qu’il y ait tant d’écrivains au Sénégal Mariama Bâ, Ken Bugul, Aminata Sow Fall... ?

Comment expliquez-vous le grand nombre de femmes qu’il y a dans la littérature française ? Elles sont intelligentes, nous aussi ! ça se passera là-bas aussi. Il y en aura de plus en plus quand on aura les mêmes moyens que les femmes d’occident ont eu pour faire valoir leur opinion. Plus il y aura de femmes qui écrivent, qui s’investissent dans le milieu artistique, plus notre parole sera entendue et plus nos problèmes seront pris en compte. Je serai ravie qu’il y ait chaque année de nouvelles filles africaines qui écrivent.

Par curiosité, Qu’est ce que Fatou Diome a lu récemment ?

Comme ça vous direz à vos lecteurs allez lire ces livres car Fatou Diome les a lus.
Je ne répondrai pas à cette question car la lecture est une affaire privée ! Dire ce que je lis c’est dire où se situent mes névroses et je refuse (rires).

Plus sérieusement,je lis beaucoup d’auteurs africains et européens. J’ai une lecture très eclectique. Je lis énormément d’auteurs, mais de pays et de culture très différents. Ça me passionne de voir comment les mêmes problèmes contemporains peuvent être abordés par une chinoise, une sénégalaise, une française, une américaine. J’ai tendance à diversifier énormément mes lectures. C’est pour ça que j’ai du mal à vous donner un type de littérature qui me passionne.

Sur les sites où on peut trouver votre livre, on s’est rendu compte que les internautes qui l’ont acheté en ont gardé un bon souvenir. N’y a t-il pas un risque que Fatou Diome prenne la grosse tête au vu de ce succès ? (rires) vu qu’elle est entrain de devenir une grande dame de la littérature sénégalaise et africaine ?

Et alors si je le devenais !
   

Kooko, un appendice de l'île de Niodior, où se déroule une partie de l'action du "ventre de l'atlantique"
©au-senegal.com

Nous serions les premiers ravis car nous pourrions dire à nos petits-enfants que nous avons interviewé Fatou Diome (rires) !

Vous savez quand je mangeais du pain sec et que je faisais des ménages ça ne dérangeait personne. Alors si je réussis quelque chose je n’en aurais pas honte et j’en profiterai correctement ! Je n’ai aucune culpabilité : si ça marche c’est très bien car j’ai bossé pour ! Simplement le jour où ça marchera moins, il faudra que j’assume. Vous savez pourquoi ? Je sais comment on se casse la gueule et comment on se relève !

Nous nous sommes laissés dire que votre grand-mère entendait parler de vous dans les médias au Sénégal et se demandait ce que vous aviez encore fait comme bêtises…Que lui avez-vous répondu ?

Je l’ai rassurée. Je pense que c’est la personne qui me connaît le mieux au monde.
C’est elle qui m’a éduqué, elle connaît mon état d’esprit. Elle m’a élevé dans la droiture et sait que je suis carrée. Je pense que quand elle demande ça c’est pour se rassurer, pour savoir ce que les autres peuvent penser de moi. Elle a une idée de moi que je ne veux pas démentir car je ne veux pas la decevoir. C’est mon guide. J’ai l’impression qu’elle m’a installée sur un grand chemin et que je dois continuer par respect pour elle et pas pour moi même. Mais il fallait la rassurer car ce qui se passe maintenant est loin de ses préocuppations, c’est loin de ce qu’elle connaît et moi même je ne m’y attendais pas. Tout à l’heure je plaisantais en disant que si on parle de moi, je peux prendre la grosse tête.
Non je ne prendrai pas la grosse tête. Je peux parler comme ça en plaisantant, mais mon ambition est de rester Fatou Diome tout simplement, et de me montrer telle que je suis.
Je voudrai que ma grand-mère puisse toujours me reconnaître, reconnaître la fille qu’elle a élevée.

Nous vous remercions au nom des internautes de Grioo.com en espérant qu’ils auront autant de plaisir à lire l’interview que nous en avons eu à vous interroger aujourd’hui.

Je dis à vos internautes de prendre leur gilet de sauvetage avant de plonger dans "le ventre de l’atlantique" et je les remercie de leur attention.
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